Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE TROISIÈME. 143

barreau , toutes les subtilités de l'argumentation. Ignorant jusqu’au nom des figures oratoires, il en émaille à chaque instant son discours et, comme le tireur le plus émérite, il manque rarement sa riposte aux coups qui sembleraient devoir l’écraser.

Deux Monténégrins, dans un état de haine réciproque, étaient appelés en notre présence devant un de ces tribunaux improvisés, tantôt sous un arbre, tantôt au seuil d’une maison, quand le prince voyage à fravers son pays. Les deux ennemis qu'on veut réconcilier exposent devant le gospodar les motifs de leur division. Le dialogue est vif, animé, brülant ; les attaques mordantes se succèdent devant l'aréopage impassible ; enfin l'un des plaidants, à bout de ressources, lance un dernier trait à son adversaire : « Toi, dit-il, tu n'as jamais été qu'un voleur! » « Oui, répond, en se redressant fièrement, l'insullé, oui, j'ai été un voleur et je m'en fais gloire. Qui pourrait dire combien de fois j'ai été de l'autre côté de la frontière prendre aux Turcs leur grain et leurs moutons; j'ai pris aussi bien des armes et des chevaux. Mais toi, tu n’as jamais été et tu ne sera jamais un voleur de frontière, car il te faudrait pour cela mon courage!» Il faut pourtant reconnaitre que cette facilité de langage conduit fatalement le Monténégrin à l'abus de la parole, et il serait à souhaiter pour lui qu'il püt méditer et mettre à profit les louanges que Fénelon décerne aux discours de Mentor : « Tout ce qu'il disait était court, précis et nerveux. Jamais il ne faisait aucune redite ; jamais il ne racontait que le fait nécessaire pour l'affaire qu'il fallait décider ?. »

1 Télémaque, livre IX.