Les historiens allemands de la Révolution française

UN HISTORIEN ALLEMAND. 907

tous ceux qui voudraient retenir le monde sur la pente où ces idées l'entrainent, en est un éclatant témoignage. C'est là une question de fait, non d'interprétation, et il n’y à pas de fait mieux constaté. Si maintenant vous en cherchez la raison, elle ne vous échappera pas longtemps. La révolution française a été provoquée par des causesiparticulières et par des nécessités locales, rien de plus certain; mais dès le début elle ne s'annonce pas comme la revendication d’un droit national trop obseurci pour qu’il fût possible de le reconnaître facilement, si jamais il avait existé : elle se proclame au nom d'idées universelles comme la raison humaine. Ces idées, la France ne les a pas découvertes sans doute; mais, la première entre les nations modernes, elle y a cru d’une foi assez ferme pour les adopter, en dépit d’une longue tradition d’obéissance, comme règles de sa politique, pour tenter de les appliquer à la rigueur et leur faire le sacrifice de ses institutions; elle les a énoncées avec une force, formulées avec une clarté encore inconnues, et sans menaces ni propagande, par la seule énergie de ses affirmations lumineuses, elle les à fait pénétrer dans tous les esprits. Ils en sont hantés malgré eux; ces idées n’ont pas à l'heure qu'il est d'adversaire qui n’en porte en lui l'ineffaçable empreinte. Ge qui était notion abstraite est entré dans la substance même de l'intelligence et devenu vivant. Voilà, réduit à ce que nous révèle l’examen le plus froidement impartial, ce qui constitue l’universalité de l'esprit de la révolution. Get esprit ne diffère point des idées de justice qui s’agitaient, au moment où elle éclata, dans toutes les têtes pensantes; il est, ce que toutes ces idées n'étaient point, un levier politique et social dont les peuples se sont emparés, et que les vieilles autorités n’ont pu, malgré bien des efforts, briser jusqu'à présent entre leurs mains.

Il y a des dons qu’il n’est pas possible de refuser ; le plus sage serait de les accepter de bonne grâce, si peu agréables qu'ils puissent être. M. de Sybel ne saurait en prendre son parti, et son orgueil national se révolte à la pensée de devoir quelque chose à la révolution francaise, fût-ce de simples idées. Sa mauvaise humeur se traduit dans un langage qu’on n’attendrait pas d’un libéral comme lui. « La vanité avec laquelle la révolution française (il ne s’agit ici que de ses principes) s’est considérée comme la libératrice universelle n’était pas seulement subversive de l'ordre européen, elle était encore un attentat à la liberté des autres états (1). » C’est raisonner justement comme les souverains coalisés et parler comme je due de Brunswick, Aussi M. de Sybel est-il très médiocrement admirateur de la déclaration des droits, ou, pour mieux dire, la juge-

(1) Tome I®, p. 74,