Les historiens allemands de la Révolution française

UN HISTORIEN ALLEMAND. 927

faut bien l'avouer, la révolution s’est soutenue au milieu de la dé-

sertion ou de l'inertie générales par le fait d’une minorité, Aussi,

parmi les contradictions de tout genre qu'elle présente et qui lui

donnent un caractère si tragique, la plus frappante est celle-ci:

la révolution, appelée et voulue par le plus grand nombre, inau-

gurée au nom de la souveraineté nationale, se poursuit et se con-

somme par une série de coups d'état. La minorité qui les accom-

plit brise les uns contre les autres tous les partis, parce que dans

l'emportement de leur irritation réciproque tous négligent ce qui est la condition du succès en politique et l’une des règles supé-

rieures de l'esprit de gouvernement, celle qui consiste à savoir sur-

monter ses antipathies. « Plutôt périr que d'être sauvés par ces gens-là! » c’est le cri de la reine en parlant des constitutionnels ;

c'est aussi celui des girondins à: veille de leur défaite, lorsque

Danton, revenant au sens politique qu'il avait perdu, leur offre son

alliance. Ils onttous péri, et la minorité révolutionnaire a pu faire impunément violence à la nation, lui imposer ce qu’elle ne demandait pas et ce qu’elle eût repoussé, si on l’eût interrogée. Gette mi norité agissait peut-être avec l'espérance d’entrainer le pays, mais elle agissait certainement avec la conscience très claire qu’elle le devançait. Et pourtant il ne serait pas exact de dire qu’elle obéis-" sait à un pur caprice de tyrannie: la raison de ceux qui gouvernaient s’est trouvée prise alors plus d’une fois entre l’alte rnativ de laisser échouer des réformes que la France n’avait pas cessé de désirer, c’est-à-dire de trahir le vœu universel, et la nécessité d'en poursuivre la réalisation au milieu de l'abandon général. Mi néspa les conjurations de l'intérieur, menacés par les armées de l'étranger et les provinces insurgées, délaissés par la France, mais résolus à ne pas la laisser retomber sous le joug qu’elle avait secoué, ils durent s'appuyer sur la seule force dont ils pussent disposer, celle des masses indisciplinées.

Jamais homme sage n’acceptera sans épouvante cette terrible alliance du désordre: ce n’est que malgré lui qu’il se prêtera à cette intervention de la multitude irresponsable dans le gouvernement. On sait trop quelles aveugles fureurs elle déchaîne dans la société; on

sait trop aussi qu'affranchis des freins ordinaires, les esprits s'éparpillent vite en mille partis divers, et que, chacun “voulant avancer d'un pas sur les autres vers ce qu'il considère comme la justice, il est impossible que la lutte des opinions ne dégénère pas en lutte armée des factions, et ne se termine par leur mutuelle extermination. On l'a vu dans la révolution. Les minorités qui l'ont faite ont eu pour elles de croire qu’elles sauvaient l’état par leur violence; elles l'ont cru certainement, car une espèce de sincérité n'est pas in-