Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

446 LA CRISE EUROPÉENNE ET L'EMPEREUR ALEXANDRE.

Le gouvernement du roi, effrayé d’un pareil mouvement, pensa, comme l'avait pensé dix mois auparavant le duc de Richelieu, qu'il était indispensable de changer la loi électorale avant que les élections nouvelles n’eussent rendu ce changement impraticable en donnant la majorité dans la chambre au parti ennemi qui en formait déjà près de la moitié. Quelques-uns des ministres, entre autres le général Dessolle, président du conseil, n'ayant pu se mettre d'accord avec leurs collègues sur la ligne politique qu'il convenait de suivre, donnèrent leur démission, et un nouveau cabinet s’organisa, le 419 novembre 1819, dans la pensée de proposer aux chambres un système électoral qui offrit plus de garanties à la monarchie légitime. Dans le ministère ainsi recomposé, M. Decazes, ministre de l’intérieur, remplaça le général Dessolle comme président du conseil, et M. Pasquier recut le portefeuille des affaires étrangères.

La tâche de ce cabinet était bien difficile. Pour triompher de la formidable opposition qu’il avait à combattre, il fallait absolument qu’il ralliât à ses défenseurs naturels dans la chambre des députés les faibles débris du parti ultra-royaliste, et ce parti était animé contre le président du conseil d'implacables ressentimens que l’imminence même du danger commun ne suffisait pas à amortir. Il fallait, d’un autre côté, que le nouveau projet de législation électorale, pour avoir quelques chances de succès, fût établi sur des bases telles que la droite pût en être satisfaite, sans que les opinions plus ” modérées et mème quelques fractions libérales restées encore fidèles au ministère en fussent trop effarouchées. Les combinaisons nécessaires pour éviter ces écueils, pour concilier ces exigences contradictoires, n’étaient rien moins que faciles à trouver. Malheureusesement deux des membres principaux du cabinet, M. Decazes et M. de Serres, tombèrent malades en ce moment. La session était ouverte depuis deux mois, déjà des débats de la plus extrême violence en avaient marqué les commencemens, et la proposition du gouvernement, annoncée de jour en jour, était sans cesse ajournée. Les esprits étaient livrés à la plus pénible anxiété; telle était l’exaspération des partis, telle était la violence des écrits et des propos, qu’on se croyait à la veille d’une grande et terrible crise révolutionnaire, semblable à celles dont le souvenir obsédait encore les imaginations.

Les gouvernemens étrangers partageaient ces pénibles préoccupations. Des communications furent échangées entre eux sur ce qu’ils pouvaient avoir à faire pour prévenir les bouleversemens dont on se croyait encore une fois menacé. L'empereur Alexandre, toujours enclin aux démonstrations éclatantes, eût voulu que les puissances manifestassent leurs inquiétudes par un acte solennel qui eût mis le gouvernement français en demeure de pourvoir à sa sûreté