Mémoire sur la Bastille

LINGUET 29

nement qui n’est point atroce, et surtout sous un roi dont les bonnes intentions sont connues, un traitement si sévère n’eût pas des motifs proportionnés ?

Un ministre étranger, qui s’est intéressé vivement pour moi, par sa propre inclination et par l’ordre de son souverain, m’a dit à ma sortie que jamais il n’y avoit eu d’affaire d’État plus gravement traitée que la mienne, et que, malgré son penchant à me croire innocent, il avoit conclu, de la manière dont on lui fermoit la bouche dans ses sollicitations, que j’étois coupable d’un crime de lèse-majesté, dont on me faisoit grâce de ne pas précipiter le châtiment.

Et tous ceux qui ont fait des démarches en ma faveur ont reçu le même accueil. Tantôt un silence glaçant; tantôt des marques de regret et de pitié; quelquefois même des éloges qui sembloient indiquer une bonne volonté devenue impuissante, par les raisons les plus terribles; enfin des demi-mots qui laissoient à l'imagination la plus vaste la plus lugubre carrière sur l’énormité des délits et la durée comme la justice de la punition. Voilà ce que trouvoient mes amis chez tous les gens en place, du moins chez ceux à qui l’on ne pouvoit pas supposer que les vrais motifs de ma détention fussent cachés.

Il est inconvevable, je l’avoue, que l’objet d’un