Mémoire sur la Bastille

LINGUET 31

Mais ce fait est plus vrai encore qu'étonnant.

J'ignore, je le répète, ce que lon a pu dire au roi; de quelles calomnies on s’est servi pour faire prévaloir dans son esprit la nécessité apparente de m’écraser par un Coup éclatant, sur le plaisir qu’il paroissoit prendre à me lire, et le penchant qu’il avoit à me protéger; jamais rien ne m'en a été communiqué : pendant les vingt mois de ma détention je n’ai pas subi l'ombre d’un interrogatoire, pas l’apparence d’un examen. Je porte aux ministres de France, à la face de l’Europe, le défi solennel de produire un seul acte qui prouve que l’on ait rempli à mon égard la moindre formalité. Ma sortie, comme on l’a vu, a été accompagnée du même mystère : l’ordre d’exil n’a pas été moins silencieux ; ainsi, je ne puis me justifier précisément sur rien, puisque j'ignore absolument de quoi l’on a pu m'accuser.

Mais c’est déjà, sans doute, un grand préjugé que ce silence envers un homme, sur qui l’on aggravoit d’ailleurs toutes les espèces de cruautés qui supposent une conviction complète et foudroyante : toutes les lois le proscrivent ; on ne peut se le permettre qu’à la Bastille, et peut-être en ce lieu même n’a-t-on jamais osé se le permettre qu’envers moi. Îl ne faudroit pas d’autres preuves de la nullité ou de la fausseté des accusations.