Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

54

ainsi s’éteindre jour par jour, heure par heure , etne pas pouvoir lui porter secours au prix de mon sang, de ma vie! Il me semble que l’Europe nous dira à tous : « Vous étiez là, près de lui, et vous l'avez laissé mourir ! »

BERTRAND , de le porte. L'empereur demande son testament ; il veut y ajouter quelques legs.

LAS Cases. Je le lui porte. Marchand, tâchez de savoir où en est la procédure du Français. Je donnerais dix années de ina vie pour apprendre à l’empereur qu'il est sauvé.

MARCHAND , le suivant jusqu’à la porte. Oh ! si l’empereur était plus mal, rappelezmoi. Son testament !.. Il craint d’avoir oublié quelqu'un. .… le monde qui Le calomnie saura s’il était bon!

UN SOLDAT ANGLAIS. Une lettre du gouverneur pour le général Bonaparte.

MarCHAND. Bien. Dois-jelaluiremettre? Peut-être contient-elie quelque nouvelle de France... C’est le cachet de sir Hudson Lowe ; cela ne promet rien de bon.

BERTRAND , de la porte. Marchand, l’empereur a vu par la fenêtre un soldat anglais porteur d’une lettre ; il la demande.

MARCHAND. Monsieur le maréchal, elle est du gouverneur ; oserez-vous la lui remettre ?

BERTRAND. Îl la veut.

(Il rentre.)

MARCHAND. Ah! voilà le docteur Antomarchi. Eh bien! quelles nouvelles?

ANTOMARCHI. Condamné,

MARCHAND. À mort ?

ANTOMARCHI. À mort,

(On entend sonner violemment dans la chambre.) MARCHAND. Désespoir! qu'est cela?

LAS CASES, sortant. Antomarchi! Antomarchi! Oh! docteur, venez, venez, l’empereur a une crise affreuse! Une lettre qu'on lui a remise contenait l’arrèt du conseil de guerre.

NAPOLÉON, dans la coulisse. Laissez-moi! Jaissez-moi !

ANTOMARCHI. Sire.….

NAPOLÉON. Arrière !

LAS CASES. Ah! voyez, voyez qu'il est pâle !

NAPOLÉON. Écoutez, écoutez tous mon dernier legs !.… et je voudrais que l’anivers tout entier füt là pour l'entendre... Jelèque

LE MAGASIN THÉATRAL,

l’opprobre dema mortà la maison régnante d'Angleterre !... Et maintenant j'en ai fini avec Le monde. Venez , mes amis, mes enfans , je ne suis plus l’empereur... Je suis un homme mourant, qui souffre... un père qui vous bénit. Ah! si Larrey était ici, mon brave Larrey ! il ne me guériraitpas, je le sens bien ; mais peut-être qu'il déplacerait mon mal; et souffrir autre part, ce serait presque du repos. Cela me mord, cela me ronge ! c’est comme un couteau dont la lame se serait brisée dans les chairs. Oh ! cela est atroce !.. Fermez cette fenêtre. Oui, oui, mon pauvre Marchand ; comme cela... merci. Que je ne voie plus ce ciel ardent! c’est le ciel qui me tue. Oh ! mes amis !.. où sont les nuages de Charleroi ?.. mon enfant...

ANTOMARCHI, Portons l'empereur dans son lit.

NAPOLÉON. Non; je souffre trop. Prenez ce manteau , couvrez-moi de ce manteau. Ilne me quittera plus. c’est celui que je portais à Marenso... Ah lmes amis, que je vous donne de peine, et qu’on a de mal à mourir |...

ANTOMAROHI, Que faites-vous, sire ?

NAPOLÉON. Je prie! Tout le monde n’a pas l'avantage d’être athée, où médecin, docteur... Maintenant je voudrais voir mon fils de plus près... O mon fils, mon. . enfant! s’il savait que son père est ici mourant , gardé par des geôliers!.… Mais il ne sait rien. il est heureux , il joue... pauvre petit! N'est-ce pas qu'ilsauraunjour ce que j'ai souffert ?.. par vous, mes amis ; par ce bon Las Cases ; par mes mémoires, si l’Angleterre ne les détruit pas. Ah! si mon fils ne portait pas bien le nom de son père! Si ces Autmichiens qui l’entourent allaientlui inspirer de l’horreur pour moi !.. mon fils me haïr, mon Dieu! Ah! ditesmoi que mon fils ne me haïra pas! qu'ilne haïra pas son père. { Entre le gouverneur. ) Oh ! que weut encore cet homme.

Las CASES , à sir Iludson Lowe. Sortez, monsieu®, sortez.

_SIR HUDSON LOWE. J'ai ordre de mon gouvernement de ne pas quitter le général Bonaparte, du moment où l’on pourra craindre...

LAS CASES, /evant ure cravache. Silence!

NAPOLÉON. Laisse, laisse cet homme, Las Cases !.. Je ne le verrai pas, je regarde mon fils... Ouvrez la fenêtre. L'air du soir me fera du bien peut-être... Le soleil se couche, s’éteint, et moi aussi! Ah!