Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA CONSTITUANTE. 57

toire de Lally-Tollendal, résonnait à l'oreille de Barnave comme un écho vengeur, comme si ses ennemis voulaient qu'il lui fit escorte devant Dieu, et s’attachât à son âme, pareil à la tache de sang sur la main de lady Macbeth. Tant la haine des partis veille implacable, tant une phrase malheureuse, souvent incomprise et dénaturée, se répercute dans les esprits, devient légende, traîne après elle un cortège de calomnies et de douleurs. Les foules qui n’ont pas letemps de discerner, prennent toutes brûlantes en quelque sorte ces paroles d'un ennemi ou d'un ami, et avec elles le jugent, le condamnent, ou le placent sur le pavois. Combien, après cette autre exclamation de Barnave * : « Vous distribuez au peuple du pain empoisonné! 5 crurent qu'il accusait Malouet et son parti autrement qu'au figuré ! Combien, après les imprécations d'Isnard, s’imaginèrent que les Girondins rèvaient de détruire Paris, de démembrer la France ! Encore aujourd’hui n’entend-on pas répéter contre la restauration le cliché des fourgons de l'étranger, résumer la politique de la monarchie de Juillet dans ce conseil de M. Guizot : « Enrichissezvous ! » ou dans cette boutade d’un poète en rupture de ban : « la France s'ennuie ! » Et de M. Jules Favre la foule retiendra-t-elle autre chose que son serment de ne céder à la Prusse ni une pierre de nos forteresses, ni un

1. Le troisième mot que luiattribue le duc de Lévis »: Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! a été prononcé en réalité par Robespierre ou Brissot.