Trois amies de Chateaubriand

MADAME RÉCAMIER 155

par la bouche de mes années un sentiment qui conserve dans ma mémoire toute sa jeunesse et dont le charme s'accroît à mesure que ma vie se retire. J'écarte mes vieux jours Pour découvrir derrière ces jours des apparitions célestes. »

Mme de Staël mourut. Bientôt, Chateaubriand :

4

alla voir Mme Récamier : navaient-ils point à causer d’une amie défunte? n'avaient-ils point à s’apercevoir de leur mutuel amour? C’est dans la maison de la rue d'Anjou qu’ils s’en aperçurent. En souvenir de cette révélation décisive, Chateaubriand écrit : « Lorsqu'on s’est rejoint à sa destinée, on croit ne l'avoir jamais quittée; la vie, selon lopinon de Pythagore, n’est qu'une réminiscencez.. » Elle fut pour lui, alternativement, réminiscence et oubli, Mais il se rappelle avec joie et, en outre, il est fier de se rappeler les circonstances de cette rencontre, que seize ou dix-sept ans séparaient de la première. Il attendit Juliette dans le jardin. Il Y avait là un berceau de ülleuls; et, entre les feuilles, tombait un rayon de lune. C’est à la lueur de ce rayon que Juliette lui revint. Et il est satisfait de se dire qu’il se rappelle ce rayon de lune, tandis qu'il a si bien oublié le soleil qu'il a vu briller sur d’autres frontss,

[l'arriva près de Juliette en conquérant, sûr de son charme et mal commode. I] voulut qu’il n’y eût que

1. Mémoires d'outre-tombe, tome VIIL, p. 262.

2. Id., tome VIII, p. 263. 3. /d., tome VII, p- 264.