Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
VOYAGE EN ORIENT (1778-1779). 21
L'image qui lui arrachait encore des larmes dans la grotte d’Antiparos s’effaça au spectacle de Constantinople pour ne plus reparaïître.
Malgré ses liens avec l'ambassade française, le jeune voyageur ne parait avoir vécu en bonne intelligence ni avec son oncle, ni avec ses autres compatriotes. Son caractère ombrageux le mit vite, et de son plein gré, à l'écart, et après quelques semaines de reclusion forcée à Thérapia, à cause de la peste, il étudia, en curieux et en homme de plaisir qu’il était, les institutions de l'empire ture, les monuments et les mœurs de Constantinople.
Peu de temps après son arrivée, il apprit la fin soudaine de Rousseau : il aurait même recu une lettre d'adieu que son illustre ami, tourmenté par de tristes pressentiments, lui aurait adressée trois jours avant de mourir. Pour faire hônneur à cette chère mémoire, il commença ses études politiques et sociales, mais en s’aidant de la plus singulière collaboration. Il venait de se lier avec une belle Grecque, la princesse Alexandrine Ghika, et il dit avoir été accueilli par elle comme son sigisbée en titre. Usant du jargon à la mode, il a osé nous vanter sa vertu : vertu étrange, qui n'était, de son propre aveu, qu'un composé des grâces d’Aspasie et des vices de Sapho. La princesse Ghika, « belle et honneste dame » selon la formule de Brantôme, avait fait valoir au sérail ses séduclions et son esprit d’intrigue ; au fond de son kiosque de Thérapia, elle entremélait sa vie active et voluptueuse de distractions intelligentes, et demandait à Plutarque les souvenirs de la « vie inimitable» de Cléopâtre. Gonnaissant le français mieux que le grec, elle se laissait lire par son amant un mémoire sur les hiéroglyphes, ou acceptait une dissertation de sa main sur les usages des anciens Égyptiens. Enfin elle cultivait