Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
VIE À PARIS ET EN PROVINCE (1779-1788). 35
geur de son jeu et la noblesse de ses attitudes. Avec ses camarades elle se montrait peu accommodante par sa jalousie et son humeur capricieuse; elle tyrannisait et troublait la république de l'Opéra, jusqu’à mériter d’être mise à la Force. Dans le monde, on l’appelait, en la confondant avec les héroïnes ou les divinités fabuleuses qu’elle personnifiait à la scène, tour à tour Didon, Armide, Sapho. Ses galanteries n’allèrent pas toutefois jusqu'au scandale éclatant et permanent; Mirabeau seul, libertin mélomane qui adressait à la fois ses hommages à la femme et à la cantatrice, mérite une mention parmi ses premiers adorateurs (1). D’Antraigues, qui lui succéda, se dit attiré vers la Saint-Huberty et retenu auprès d'elle par la simplicité de l'artiste célèbre autant que par les séductions de la femme aimable. Sans apprécier en elle l'esprit proprement dit, qui est chez les femmes, disait-il, comme un rasoir aux mains d'un enfant, il lui reconnaissait le jugement sain, le sens pratique dont il manquait lui-même, et il demeura de longues années sous le charme de cette domination impérieuse et familière (2).
Leurs premières relations paraissent dater de 1783; elles devinrent intimes vers la fin de l’année suivante. Un fils en naquit, qui mourut jeune. Le Pygmalion qui
(2) De Lomé, es Mirabeau, t. I, p. 621-623, 647. Brissot, dans ses Mémoires, raconte que Mirabeau a aimé, entre Sophie de Monnier et Mme de Nehra, « une comédienne laide, mais riche, aux dépens de laquelle il a trop vécu ».
(2) « Mme Saint-Huberty est une femme dont on commence, il est vrai, par admirer les talents; quand on la connaît, on les oublie, parce qu’elle a une belle âme, et cela vaut mieux que les talents les plus distingués. » (Lettre du 17 juillet 178%. — Catal. d’autographes Charavay. Vente du 9 mai 1892.)