Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
VIE A PARIS ET EN PROVINCE (1779-1788). 31
avoir été pendant plusieurs années le témoin autorisé de ces tête-à-tête. Ce Turconi était un gentilhomme italien, grand amateur, ainsi que d’Antraigues, en toutes choses, en sciences comme en voyages. Il avait visité l'Allemagne et la Pologne, traduit un livre sur la constitution anglaise, et on le disait passionné pour l’alchimie et la recherche de la pierre philosophale (1). Cet admirateur, qu'on voudrait croire désintéressé, de la Saint-Huberty l'avait gratifiée d’une agréable maison de campagne à Groslay, et d'Antraigues ne protestait point; bien mieux, il cédait à la tentation d’y venir prendre gîte (2). Cette délicatesse vulgaire que blesse même, dans une liaison née d'un caprice, une complicité survenant en tiers, lui est inconnue en France comme en Orient, et il n’a pas dû dissimuler bien soigneusement à la Saint-Huberty les rivales passagères qu'il lui donnait parmi les nobles dames de Paris, les danseuses du théâtre de Lyon ou les villageoises du Vivarais. Leur liaison n’en diffère pas moins, et heureusement, de celles qui encombrent de leurs souvenirs les pages indiscrètes des mémoires ou des nouvelles à la main. Elle fut durable, aboutit à un mariage de raison, et parut consacrée encore vingt ans après, le jour où elle fut rompue violemment, de la même main, par la mort.
Dans ses terres, où il séjournait le plus souvent, d’Antraigues n'était plus le même homme; il se disait avant tout « baron de Jaujac, de Mayras, seigneur d’Aizac, Juvinas, Asperjoc, Lachamp-Rosas, Genestelle, Prades, Fabras, Saint-Cergues de Prades, Nicigles, la Souche,
(1) Grovro, GZi Uomini illustri della Comasca diocesi, p. 265266. (2) De Goxcourr, Za Saint-Huberty, p. ATT.