Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
46 CHAPITRE DEUXIÈME.
contre les despotes de l’Asie et de l'Afrique, il méditait au milieu de ses vassaux sur l'émancipation des hommes: il songeait à la liberté des déserts arabes et des montagues helléniques, et il enrichissait ses récits de voyages de nouvelles tirades contre la tyrannie : « Il est pour nous, je le crois encore, écrivait-il en 1785, des moyens pour recouvrer la liberté sans recourir à la voie extrême, mais légitime, de l'insurrection. Plus heureux que les Turcs, nous avons eu jadis des assemblées générales où la nation réunie par ses représentants opposait à la royauté de redoutables barrières. Que la nation se pénètre de l’absolue nécessité de rassembler les États généraux, et qu'elle sente qu'il n'est que ce seul moyen d'éviter la tyrannie. » Les États qu'il rêve sont bien ceux qu'on verra à l’œuvre de 1789, abattant les ordres et les privilèges : « La noblesse héréditaire, dit-il en toutes lettres, est un fléau qui dévore ma patrie. » C’est, selon lui, la seule supériorité des Orientaux sur les chrétiens de ne pas la connaitre. Il prévoit et il flétrit par avance dans la crise prochaine la conduite des nobles, et il s'emporte contre Montesquieu et sa théorie sur l’honneur, ce soi-disant frein des monarchies : « L'honneur aussi, s'écrie-{-il, conduirait les nobles sur les foyers de leurs pères, de leurs citoyens. L’honneur les armerait contre leur patrie pour soutenir la volonté d’un despote... »
Quel beau jeu auraient eu contre lui ceux qui, plus tard, le virent attiser les passions de l'émigration, s'ils avaient connu ces pages, perdues au milieu d'une description de l'Orient! Et plus encore ceux qui l’entendirent pendant dix ans vanter l’ancienne constitution française, s'ils avaient pu lui opposer les lignes suivantes, antérieures à 1789 : « Que voulez-vous donc nous dire