Catherine II et la Révolution française d'après de nouveaux documents
LA FRANCE DE L'ENCYCLOPÉDIE 13
remonter à cette époque de sa vie la décision qu’elle prit d'apporter dans son gouvernement quelques-uns des principes et les idées d'humanité qu’elle rencontrait dans ses livres. D’humeur très gaie, — ce qui la sauva de l'ennui et de bien des embarras, — elle avait cependant, dit-elle, « des dispositions à la mélancolie. » Enfermée dans sa chambre, et se sentant « totalement isolée,» elle lut tour à tour les ouvragesles plusdivers.(1) Cen’estpas Brantôme, ni Mme de Sévigné, ni Daphnis et Chloé qui l’initièrent aux idées de liberté. Mais elle ne s'arrêta pas longtemps à ces lectures. Plutarque, la vie de Cicéron, la vie d'Henri IV par Péréfix, Molière, Montesquieu, Voltaire surtout, avaient eu le don de la retenir. Le comte de Gyllembourg, qui avant Voltaire lui a trouvé «une tournure d'esprit très philosophique,» développa er elle « le désir de parvenir à faire de grandes choses. » C’est à lui qu’elle dut d'éviter bien des écueils dans le tourbillon où elle était placée, et c’est sur son conseil qu’elle se procura les meilleurs de ces ouvrages. Ceux-ci sont les livres de chevet qu’elle admet déjà à l'honneur du crayon rouge, qu’elle emporte à cheval quand elle part des journées entières pour la chasse, et qu’elle annote avec amour. Elle lit même d'A à Z le Dictionnaire de Bayte. Est-ce là qu'elle apprend ce que l'auteur, précurseur des philo-
(1) C’est-pendant son noviciat de grande duchesse que Catherine écrivit sur divers sujets des « pensées » qui dénotent une âme libérale. On y lit par exemple: « Le pouvoir sans la confiance de la nation n’est rien pour qui souhaite d’être aimé et d'avoir de la gloire.» Ces « cahiers», qui sont de 4760, ont été publiés dans le tome VIT du Recueil de la Société Impériale Historique Russe.