Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

176 CORRESPONDANCE DE THOMAS LINDET

Dans un moment où tous les citoyens ne sont pas encore éclairés sur leurs intérêts, où ils ne connaissent pas les sentiments et les vues de tous les individus, où il leur reste une grande impression des anciennes habitudes, où leur confiance est timide, où leur défiance est facile à tromper; dans un moment où ceux qui étaient en possession de leurrer le peuple n’ont pas oublié toutes leurs souplesses, et tous leurs artifices qui leur ont si longtemps réussi pour asservir la multitude, et pour capter les suffrages, il n’est pas étonnant que les assemblées primaires aient été orageuses, qu’on ait élu bien des citoyens équivoques, qu’on ait même fait bien des élections absolument nulles. Le département du Calvados en offre un exemple bien singulier, et qui deviendrait funeste, si on persévérait à y mettre de l’entêtement. L'élection de M. de Limon (1) est nulle et soutenue par les commissaires; les gens du pays ont promis de l’exterminer et tous ses adhérents, s’il veut soutenir son élection. Cela pourrait devenir sérieux ; cependant il est à présumer qu'on déférera à l'avis du Comité de constitution, qui confirme les autres élections. I1 est extrêmement difficile, dans les circonstances actuelles, de juger quand il faut s’en tenir à la sévérité des principes, et quand il faut les faire céder à la nécessité d'organiser promptement les assemblées administratives. Il est certain qu’il existe un grand nombre d’élections fort irrégulières, qui pourraient être contestées : mais on ne doit pas exiger une régularité absolue, qui entrainerait des retardements dangereux, qui fatiguerait les citoyens, qui les dégoûterait peut-être de ces assemblées. Il faut fermer les yeux sur des défauts qu'on ne tolèrera pas, par la suite. Mais aujourd'hui il vaut bien mieux avoir une machine un peu défectueuse que de n'en point avoir. Je connais assez la sagesse et la modération

(x) Il s'agit de Jérôme-Joseph-Geoffroy de Limon, ancien contrôleur général et intendant des maisons, domaines et finances du duc d'Orléans. Cf. Brette, Convocation, t. II, p. 423.