Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

INTRODUCTION 5

celte étude, à l'école d’un tel homme; d'autant plus que, grâce à la connaissance des faits accomplis nous pouvons maintenant juger son jugement, comme il le disait lui-même dans une lettre à La Fayette !.

11 faut bien s'entendre cependant. Cette admirable clairvoyance de Gouverneur Morris ne s'applique qu’au jeu des forces politiques et sociales. Lorsqu'un problème de cette mécanique particulière est posé, lorsqu'il s’agit de mesurer les énergies et de dégager les résultats que doit produire leur antinomie ou leur union, il est presque incomparable, au moins égal à Mallet du Pan. Mais tout un côté de la Révolution française, le meilleur et le plus bienfaisant. lui échappe, de même qu'il n'apparaît pas dans l’œuvre de Taine. Je veux parler du droit nouveau qu’elle a introduit — en dehors du droit politique — qui a passé en substance dans nos Codes et qui inspire encore nos lois: transformation de la propriété foncière, réforme du droit criminel, unification du droit civil, refonte des impôts, liberté du travail, du commerce et de l’industrie. Il déclare lui-mème qu'il ne connaît pas nos institutions ? et, par suite, 1l n’a pu apprécier cette rénovation du droit français, ou, s’ilen signale quelques traits, c’est en se plaçant seulement au point de vue politique*. De même, en matière de législation constitutionnelle, il a des idées propres très intéressantes, mais qui s’adaptaient difficilement et à la

TD ApUrg2.

2. T: I, p. 21 (janvier 1789). Morris écrit au comte de Moustier alors en Amérique, et lui décrit l'effervescence que produisent les élections aux États généraux : € IL serait présomptueux de ma part d'émettre même une supposition sur l'effet de telles causes opérant sur des matériaux et des institutions à l'égard desquels je dois vous avouer ma profonde ignorance. »

3. T. [, p. 280. Il parle très exactement des projets de divisions territoriales soumis à la Constituante « non pas établies d’après les rivières et les montagnes, mais avec l’équerre et le compas, conformément à la latitude et à la longitude », puis il ajoute: « Et, comme les provinces avaient de haute antiquité des lois différentes (appelées coutumes) et que les rognures et raclures des différentes provinces tomberont à la fois dans plusieurs de ces nouvelles divisions, je pense que de pareïlles matières en fermentation vont leur donner une sorte de colique politique. » Or la persistance des coutumes variées était condamnée par tous les bons esprits et depuis des siècles la France aspirait à l'unité de législation civile.