Histoire de la liberté de conscience : depuis l'édit de Nantes jusqu'à juillet 1870

66 LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE EN FRANCE

SG. — On peut remarquer, dans les quinze premières années du xvure siècle, un revirement de l'opinion en France au sujet de la tolérance. En 1685, Bossuet, Fénelon, M"° de Sévigné, l'élite intellectuelle de la France, avaient approuvé, sans scrupule, la proscription des Réformés, tout au plus faisaient-ils quelques réserves en faveur de Port-Royal. Vingt ans après, tout est changé : les coryphées de la littérature flétrirent la Saint-Barthélemy et les dragonnades.

Montesquieu et Voltaire, s'inspirant des écrits de Bayle et des idées des déistes, furent les premiers écrivains, qui, en France, osèrent élever la voix contre le despotisme de la religion d'État et méritèrent le nom de libres penseurs. Mais telle était encore la force du préjugé qu'ils n’osèrent l’attaquer en face et prirent le masque de l’allégorie ou du drame.

Montesquieu ouvrit le feu, avec ses Lettres persanes (1721). Il y faisait valoir deux arguments en faveur de la liberté des cultes: la large part, que les minorités, par leur industrie, prennent à la prospérité d’un État et Fémulation des confessions diverses, puis concluait en ces termes : & Quand il n’y aurait pas d’inhumanité à affliger la con« science des autres, il faudrait être fou pour s'en aviser ! » (Lettre 86). Plus tard, dans son Æsprit des Lois, Montesquieu s’éleva encore contre l’uniformité en matière religieuse (livre XXIX, ch. xvun) et contre lintolérance (livre XX, ch. 1x); mais, profondément imbu du droit romain, il adinit une exception au principe, c'est que « lorsque l'État est satisfait de la religion établie, il ne faut point souffrir lPétablissement d’une autre. » Par là, notre jurisconsulle rouvrait la porte à l'arbitraire et à l’intolérance.

Voltaire, de son côté, écrivait son poème de La Ligue ou La Henriade (r 720) qui n'était pas seulement le premier essai de poème épique dans notre langue, mais encore une leçon de tolérance, courageusement donnée au duc de Bourbon au lendemain de l'Édit de 1724. Et, ce qu'il y a de plus remarquable dans cette œuvre de jeunesse, c’est qu'Arouet, tout en condamnant l'hypocrisie et le fanatisme religieux,