Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

106 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

pour Coblentz, muni d'un mince bagage. Qu'est-il besoin d'emporter tant de choses pour une si courte absence? C'est à peine si l'on dit adieu à ses amis. Le retour ne doit-il pas être prochain?

Beaucoup ne devaient jamais revoir leur patrie; les autres n'y devaient rentrer que vingt-trois ans plus tard.

Cependant ces rassemblements sur la frontière du royaume commençaient à devenir gênants; on leur prêtait, non sans molifs, des projets menaçants et l'imagination populaire les exagérait encore. La présence dû frère même du Roi à la tête des émigrés rendait singulièrement suspecte l'attitude de Louis XVI. On le soupçonnait, ainsi que toute la famille royale d'entretenir des correspondances avec l'étranger et d'abuser le peuple par une attitude hypocritement satisfaite, alors que par-dessous mains il se préparait par tous les moyens à rejoindre Coblentz.

Ces bruits prirent encore plus de consistance lorsqu'en février 1791 l'on apprit que les tantes du Roi, Mmes Victoire et Adélaïde, estimant le salut de leur âme compromis en France, projetaient de quitter Paris et de se retirer à l'étranger. Aussitôt l'émoi est grand et les nouvelles les plus invraisemblables circulent : Mesdames doivent enlever le Dauphin dans un fond de voiture, un autre enfant de son âge et de même figure lui sera substitué; deux mille gentilshommes doivent accompagner les fugitives à la fron-