Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

58 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

c’est ainsi qu'on pleure la Passion de Jésus-Christ! » L'usage se perpétue, immuable jusqu'à la Révolution. Pour la première fois, en 1790, l’on s’avise que le temps n’est plus aux plaisanteries, ni aux exhibitions scandaleuses.

Edmond, qui en est resté aux souvenirs du passé, court à Longchamps pendant la semaine sainte pour jouir du spectacle accoutumé, mais il éprouve une vive désillusion. La promenade est déserte, et c'est à peine si l’on y voit deux cents voitures, dont la moitié n'est composée que de misérables fiacres. « Les aristocrates et les courtisanes qui faisaient le beau de cette parade n’ont point osé y paraître. » Pour comble de malheur, il règne un vent terrible qui soulève des nuages de poussière; piétons et cavaliers sont aveuglés et ne savent où se réfugier.

« Les carrosses étaient fort rares, écrit notre narrateur; les cabriolets et phaétons qui auraient pu paraître assez brillants, étaient pour le moment trop saupoudrés de poussière. Transis, gelés de froid, nous sortimes bientôt du bois de Boulogne et reprimes la route de Paris. Nous eùmes le plaisir, en revenant, de voir arriver vers le bois d'assez belles voitures, d'autres qui faisaient triste figure, d'autres qui excitaient des éclats de rire immodérés. L'on avait placé de distance en distance des piquets de gardes nationales. Ils avaient eu soin de choisir pour postes les différentes guinguettes qui fourmillent sur la route.