La France sous le Consulat

LES BANQUETS AUX TUILERIES 205

entremêle les simples soldats avec les colonels et les généraux, prolonge le repas, se montre d’une amabilité parfaite, s'efforce, mais en vain, de mettre à l’aise les plus humbles de ses convives.‘ « Rien n'était plus drôle, raconte le valet de chambre Constant, que de voir ces bons troupiers, se tenant à deux pieds de la table, n’osant approcher ni de leur serviette, ni de leur pain, rouges jusqu'aux oreilles et le cou tendu du côté de leur général, comme pour recevoir le mot d'ordre. Le Premier Consul leur faisait raconter le haut fait qui leur valait la récompense nationale, et riait parfois aux éclats de leurs singulières narrations. Il les engageait à bien manger, buvant quelquefois à leur santé ; mais, pour quelques-uns, ses encouragements s’échouaient contre leur timidité, et les valets de pied enlevaient successivement leurs assiettes sans qu'ils y eussent touché. Cette contrainte ne les empêchait pas d’être pleins de joie et d'enthousiasme en quittant la table. « Au revoir, mes braves, leur disait le Premier Consul, baptisez-moi bien vite ces nouveau-nés-là l'» (montrant du doigt leur sabre d'honneur). Dieu sait s'ils s'y épargnaient ! »

Parmi les nombreux témoignages de cette solidarité presque filiale qui unissait ces soldats à leur chefil en est peu de plus éloquents que la lettre d’un sergent de grenadiers à la 32° demi-brigade, Léon Aune, un des héros d'Italie, couvert de cinq blessures, et la réponse que lui fit son ancien général. « Citoyen Consul, écrit de Toulon Léon Aune, le 7 décembre 1799, votre arrivée sur le territoire de la République a consolé toutes les àmes pures, principalement la mienne. Je viens à vous comme à mon dieu tutélaire, vous priant de donner une place dans votre bon souvenir à Léon, que vous avez tant de fois comblé d’honneurs au champ de bataille. N'ayant pu m'embarquer pour l'Egypte, y cueillir de nouveaux lauriers sous votre commandement, je me

1. A. Rambaud, Histoire de la civilisation contemporaine en France, chap. VIIL