"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (oštećen primerak)

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CHAPITRE 11.

En 1826, l’intérêt pour la « Muse servienne que Goethe avait rendue célèbre », ne fera qu’augmenter. Le baron d’Eckstein, directeur du Catholique, publia dans sa revue deux longs articles sur les Chants du peuple serbe, en donna quelques extraits (d’après la traduction de M llO von Jakob) et fit une excellente analyse de la ballade des Noces de Maxime Tsernoyévitch 1 . Ces articles ont plus de valeur qu’on ne leur en a reconnu, mais, malheureusement, la suite qu’en avait promise M. d’Eckstein 2 ne parut jamais. D’abord, et ceci est très remarquable, disait-il, les chants lyriques et les récits épiques des Slaves diffèrent entièrement de la poésie native des nations de la Germanie. Chez les Serbes on ne rencontre aucun de ces traits caractéristiques des sentiments, des impressions, des actions que chantent ou racontent les ballades et les romances des Allemands, des Suédois, des Anglais, des Écossais. Il y a une noblesse plus élevée, plus de grâce et de pureté, une manière de s’exprimer plus délicate et mieux choisie dans les poésies natives des Bosniens et des Dalmates : mais plus d’originalité, un intérêt plus varié, plus dramatique et plus soutenu, et, nous devons ajouter aussi, un plus riche développement des diverses conditions de l’existence sociale, même dans son état de barbarie, distinguent les chants populaires propres aux nations germaines. La piété des Serbes a quelque chose d’infiniment touchant, un goût, un parfum, pour ainsi dire, d’innocence dans son expression lyrique : mais elle est uniformément ascétique et monacale. Les pensées et les actions pieuses, exprimées dans les ballades et dans les romances chantées jadis sur les frontières del’Écosse, ou sur les bords du Rhin, ne portent pas ce caractère de dévotion, mais dénotent une vie active, même au sein d’occupations religieuses. Il y est souvent question de vocations forcées, d’événements graves et tragiques qui en furent la suite, d’une lutte entre les hommes armés de la lance et les hommes qui portaient la croix; rien de semblable parmi les Serbes. La femme y obéit à ses parents, le moine ne contrarie pas le chef de la tribu ; il reçoit ses dons, mais il tremble devant sa violence et ne prétend pas l’assujettir à sa domination.

• Le Catholique, Paris, février et juin 1826 ; t. I, pp. 243-269 ; t. 11, pp. 373-410. Un extrait du deuxième article est donné dans la Quotidienne du 29 juin 1826. 2 Idem, juin 1826, p. 410.