"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LE MERVEILLEUX DANS « LA GUZLA ».

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rejettent maintenant le fond avec la forme. On commence à déclarer ennuyeuse l’exposition des pensées et des actions nobles ; on s’essaie à traiter toutes les folies. A la place des belles figures de la mythologie grecque, on voit des diables, des sorcières, des vampires, et les nobles héros du temps passé doivent céder la place à des escrocs et à des galériens. « Ce sont des choses piquantes ! Cela fait de l’effet! » Mais quand le public a une fois goûté à ces mets fortement épicés et en a pris l’habitude, il veut toujours des ragoûts de plus en plus forts. Un jeune talent qui veut exercer de l’influence et être connu, et qui n’est pas assez puissan t pour se faire sa voie propre, doit s’accommoder au goût du jour et même il doit chercher à dépasser ses prédécesseurs en cruautés et en horreurs. Dans cette chasse des moyens extérieurs, toute étude profonde, tout développement intime régulier du talent et de l’homme est oublié. C’est là le plus grand malheur qui puisse arriver au talent, mais cependant la littérature dans son ensemble gagnera à ce mouvement 1 . I 2 LE VAMPIRISME DANS (( LA GUZLA » Avec la Guzla, qui contient un assez grand nombre d’histoires terrifiantes, Mérimée, lui aussi et à sa manière, avait pris cette « direction ultra-romantique » dont parle Goethe. En 1819 et 1820.il s’était mis à étudier la magie 2; il lisait alors le Monde enchanté du « fameux docteur Balthazar Bekker », le Traité sur les apparitions du père Calmet, la Magie naturelle de Jean-Baptiste Porta 3 , ouvrages dont il se servira en composant la Guzla et dont il se souviendra au chapitre XII de la Chronique de Charles IX. Il faisait, en effet, de l’« ultra-romantisme » avec ses ballades sur les

1 Eckermann, Conversations de Goethe, t. 11, p. 193. - F. Chambon, Notes sur Mérimée, p. 4. Le même, Lettres inédites de Prosper Mérimée, p. xiv. 3 La Guzla, pp. 97, 137, 213.