"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LE MERVEILLEUX DANS « LA GUZLA ».

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belle de toutes ses compagnes, a refusé tous les amants, jeunes et braves, riches et beaux. Mais elle porte à son cou une chaîne d’argent avec une fiole suspendue, et elle baise ce verre et lui parle tout le jour, l’appelant son cher amant. Ses trois sœurs ont épousé trois beyspuissants et hardis.— « Quand te marieras-tu, Khava ? Attendras-tu que tu sois vieille pour écouter les jeunes gens ? » j’ai un ami plus puissant. Si je désire quelque objet précieux, à mon ordre il l’apporte. « Si je veux une perle au fond de la mer, il plongera pour me l’apporter : ni l’eau. ni la terre, ni le feu ne l’arrêtent, quand une fois je lui ai donné un ordre. « Mol, je ne crains point qu’il me soit infidèle : une tente de feutre, un logis de bois ou de pierre est une maison moins close qu’une bouteille de verre. » Et, de Trebigne et de tous les environs, lesgens sont accourus pour voir cette merveille : et, si elle demandait une perle, une perle lui était apportée. Voulait-elle des sequins pour mettre dans ses cheveux, elle tendait sa robe et en recevait de pleines poignées. Si elle eût demandé la couronne ducale, elle l’aurait obtenue. L’évêque, ayant appris la merveille, en a été irrité. Il a voulu chasser le démon qui obsédait la belle Khava, et lui a fait arracher sa bouteille chérie. pour chasser ce noir démon! » Alors il a fait le signe de la croix et a frappé sur la fiole de verre un grand coup de marteau. La fiole s’est brisée : du sang en a jailli. La belle Khava pousse un cri et meurt. C’était bien dommage qu’une si grande beauté fût ainsi victime d’un démon 1 . Ne plaignons pas la belle Khava plus que ne l’a plaint le poète de la Guzla. C’est ici du merveilleux auquel nous avons affaire et rien autre chose. Disons toutefois qu’un merveilleux aussi merveilleux nous paraît de beaucoup dépasser ce qu’ont pu jamais se permettre les véritables poésies populaires.

1 La Guzla, pp. 207-211.