"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VI.

remplit tous ses vœux. Il est vrai que ce dernier amant n’est pas renfermé dans une bouteille ; mais les quelques lignes qui suivent et que nous extrayons du même Monde enchanté, nous persuadent aisément que c’est encore à Balthazar Bekker que Mérimée doit d’avoir eu idée déplacer son étrange héros dans cette prison : La première chose de celles que j’ai remarquées dans mon premier livre, dit l’écrivain hollandais, qui demande que nous y fassions réflexion, est ce que je cite à l’article 18 du chapitre 19, des diables qui s’enferment dans du cristal ou dans des bagues. Et comme àl’endroit que j’ai cité, Gaspar Schotme renvoie àWierus, j’y trouve cette commodité, que je n’ai qu’à traduire ses propres termes, sans y ajouter la moindre annotation de ma part. Wierusen parlant des diables enchâssés dans le verre ou dans les bagues, au chapitre premier de son sixième livre, articles 3 et 4 : « Il ne faut pas, dit-il, oublier ceux qui portent le pauvre diable sur eux, enfermé dans une bague par l’artifice d’un habile orfèvre, avec plusieurs parfums et grimaces circonstanciées ; non plus ceux qui le montrent si étroitement enchaîné dans un cristal de roche, qui ne se rompe pas, comme l’on sait, ou dans un verre ...» Là-dessus il nous raconte comment la cour de Gueldre reconnut et punit, en 1548, un nommé Joffe Rosa de Courtray, qui fut « obligé, par une sentence légitime, d’ouvrir et de rompre à coup de marteau, sur un billot, en plein marché, en présence de la cour et d’un nombre infini de spectateurs, cette prison de diable, à savoir son anneau, et de donner la liberté au prisonnier qui y était enfermé ; à moins que quelqu’un ne s’imagine que le diable pouvait être écrasé de ce marteau, s’il croit qu’il ait pu être retenu dans cet anneau par sa dureté 1 ». Dans sa ballade, Mérimée s’est tout simplement proposé d’exciter la curiosité du lecteur; c’est de la pure fantasmagorie ; nous l’acceptons comme telle, car dès les premiers mots nous sommes prévenus. Jeunes filles qui m’écoutez en tressant des nattes, vous seriez bien contentes si, comme la belle Khava, vous pouviez cacher vos amants dans une bouteille. La ville de Trebigne a vu un grand prodige : une jeune fille, la plus

1 Le Monde enchanté, t. 11, pp. 293-295. Naturellement, Mérimée ne cite pas ce passage. C’est M. Matié qui l’a retrouvé le premier.