"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

« LA GUZLA » EN FRANCE.

409

Dieu garde tout honnête particulier un peu complimenteur de son naturel, voyageant en Bosnie ou en Dalmatie, d’aller s’extasier sur la beauté ou la gentillesse d’un enfant! Le pauvre petit est dès lors réputé ensorcelé et le voyageur pourrait fort mal passer son temps. Heureusement il est un remède très facile à cette fascination; comme la lance d’Achille, la bouche du faiseur de compliments peut guérir Je mal qu’elle a fait ; il suffit pour cela qu’il veuille bien cracher à la figure de l’enfant, ce que je ne lui conseillerais pas de refuser. Si vous avez des enfants gâtés, envoyez-les en Bosnie. « Tous les peuples sont tant soit peu gascons, et on serait fort surpris, je crois, si la modestie était allée se nicher dans des pays où chacun a l’habitude de vanter ses exploits, ne fût-ce que pour effrayer ses ennemis. On lira donc sans étonnement dans ce recueil une espèce de messénienne dalmate, où l’on verra que Napoléon ayant envoyé vingt mille soldats pour soumettre cinq cents Monténégrins, ces derniers leur ont tué vingtcinq hommes, ce qui a tellement effrayé le reste « qu’ils « ont pris la fuite, et jamais de leur vie n’ont osé « regarder un bonnet rouge » (coiffure des Monténégrins). Quel dommage que sir Walter Scott n’ait pas eu connaissance de cette pièce justificative qui aurait merveilleusement figuré dans sa véridique histoire 1 . « Il ne faut pas croire, au surplus, que toutes ces poésies respirent le sang et le carnage. On y trouve de petites odes presque anacréontiques, telles que l'Amante de Dannisich, où une jeune fille passe la revue de ses trois

1 La Vie de Napoléon Buonaparle, par sir Walter Scott, venait de paraître et la presse française s’en occupait beaucoup au moment où Za Guzla fut publiée.