"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VIII.

Ce volume médiocre et peu original a échoué sur les quais de Paris, où les mériméistes pourront aisément se le procurer pour la modique somme de vingt centimes 4 . Telle fut la destinée de la Guzla en France. La ballade n’a pas joué dans l’évolution du romantisme français le rôle qu’elle avait eu dans les autres pays. Elle s’est inspirée de tout sauf des légendes nationales, et par cela même elle était destinée à n’avoir qu’un succès éphémère. Tant qu’on s’intéressa en France à ces fantaisies de l’imagination, la ballade fut en honneur. Ce fut une affaire de mode ou de snobisme ; on goûtait les ballades étrangères ou tout ce qui en avait l'air; puis on se lassa de ces pays de chimères ; on voulut connaître les peuples eux-mêmes, sans les voir à travers le prisme de l’imagination ; on découvrit même la poésie nationale et populaire française; on fut capable d’apprécier les trouvailles que l’on fit, mais non de redonner à ces poésies, qu’on exhumait de la tombe, une vie qu’elles semblaient avoir pour toujours perdue. Et ces mêmes raisons nous permettent de comprendre pourquoi le succès de la Guzla fut plus durable à l’étranger : c’est que dans ces pays on s'intéressa davantage et plus longtemps à ces essais de résurrection parce qu’ils avaient véritablement un but, et un but national. Même un recueil de faux folklore pouvait donc y jouir d’une faveur plus grande qu’il n’en aurait jamais pu obtenir en France.

1 Presque toutes les pièces des Contes de la Bosnie ont été réimprimées dans la Revue d’Europe, économique, financière et littéraire, Paris, 1899 et 1900.