"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE IX.

Le vieux poète ne se trompait pas, dans un certain sens : quelques-unes des chansons de Gerhard, composées à la manière populaire, se chantent encore en Allemagne 1 ; mais il ne pensait pas que Mérimée allait bientôt lui donner un démenti formel, prouvant que même la mise en vers de « bonnes traditions » n’est pas chose si facile et que l'on peut souvent s’y méprendre, surtout quand il s’agit de choisir ces « traditions ». La Wila eut un certain succès, tant en Allemagne qu’à l'étranger. Goethe la présenta au public dans sa revue Art et Antiquité en même temps qu’il parlait du recueil de Mérimée et de la traduction anglaise des chants serbes, par John Bowring 2 . Il ne s’occupa, il est vrai, que de la première partie du livre, c’est-à-dire des piesmas authentiques; mais d’autres critiques ne surent pas distinguer si nettement le vrai du faux; ils louèrent avec le meme enthousiasme toutes les ballades sans exception. Ainsi par exemple \ Allgemeine Literatur-Zéitung se plut à faire une allusion spéciale aux ballades « du mauvais œil, de la flamme voltigeante, des nains-cavaliers et des vampires sanguinaires » (von bôsen Blicken, wandelnden Flâmmchen, reitenden Zwergen, blutsaugenden Vampyren 3 ). Un jeune professeur allemand, dont le nom devait rester célèbre, attaché à une école historique fameuse, Léopold Ranke, fut également l’une des nombreuses dupes de la Gusla, à notre sens la plus distinguée. Au

1 « Auf, Matrosen, die Anker gelichtet », « Bin der kleine Tambour Voit », « Die Mâdchen in Deutschland sind blühend und schôii », etc. 2 Ueber Kunst und Altertum, t. VI, livr. 1, p. 192; livr. 2, pp. 321323. 3 Allgemeine LileraLur-Zeitikng (Érganzung-Blâtter), mars 1829, n" 36, p. 287.