"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

« LA GUZLA » EN ALLEMAGNE.

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La poésie populaire serbe ne connaît pas la rime. Avant de devenir la victime de Mérimée, ce brave homme avait déjà été celle de la fantaisie extraordinaire du poète Miloutinovitch dont nous parlions tout à l’heure. Plusieurs des poésies qu’il s’était fait traduire avaient été composées par Miloutinovitch lui-même et ne sont nullement « populaires » en Serbie. Dans ses Notes, M. Gerhard nous raconte parfois des choses vraiment surprenantes. Sous l’influence de cet aventurier, il établit gravement tout un nouveau système d’études mythologiques et étymologiques, grâce auquel l’Europe se rendra enfin compte du rôle important qu’avaient joué les Serbes dans l’histoire ancienne. En effet, tous les dieux gréco-romains ne portent-ils pas des noms serbes que des scribes ignorants ont corrompus? Morlaque veut-il dire autre chose que « celui qui supporte facilement la mer 1 ? »Et le brave Allemand n’oublia pas de nous apprendre qu’il y a des Gerhard en Serbie et qu’ils y portent le nom de Djero 2 ! Six mois avant l’apparition de la Guzla, Goethe vantait à Eckermann le talent de Gerhard. Avec son indulgente bonhomie, il voyait en cet esprit simple et naïf un personnage propre à comprendre et à interpréter l’âme des primitifs. « Ce qui aide Gerhard, disait-il, c’est qu’il n’a pas une profession savante... S’il se borne toujours à mettre en vers de bonnes traditions, tout ce qu’il fera sera bon; mais les œuvres tout à fait originales exigent bien des choses et sont bien difficiles 3 ! »

bleue, le ciel est serein, la lune est levée, et le vent n’enfle plus nos voiles d’en haut. » (La Guzla, p. 125.) 1 More signifie en serbe la mer ; lait veut dire léger, facile ; mais Morlaque a une étymologie tout autre, que nous avons donnée, du reste. (Cf. plus haut, p. 30.) 2 Wila, t. 11, p. 210. 3 Eckermann, Conversations de Goethe, t. 11, pp. 295-296.