"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE IX.

fours, dans des huttes isolées, au milieu de roches, au fond d’abîmes ; là se montrent souvent des cadavres récemment enterrés ; le lecteur est entouré d’hallucinations menaçantes qui le glacent; des apparitions, et des flammes légères par des signes mystérieux veulent nous entraîner ; ici nous voyons d’horribles vampires se livrer à leurs crimes, ailleurs c’est le mauvais œil qui exerce ses ravages, et l’œil à double prunelle inspire surtout une terreur profonde; en un mot, tous les sujets sont de l’espèce la plus repoussante. » Mais à la fin, il rendait justice à Mérimée : « Il n’a épargné, dit-il, aucune peine pour bien se familiariser avec ce monde; il a montré dans son travail une heureuse habileté, et s’est efforcé d’épuiser son sujet 1 . » Goethe a-t-il sainement jugé Mérimée de 1827? A notre avis, il le croit plus artiste et dilettante qu’il ne l’est à ce moment ; il ne soupçonne pas assez le poète. Nous pensons qu’il y a plus de sincérité dans la Guzla que n’en a voulu reconnaître l’illustre vieillard. C’est pour Mérimée plus qu’un « exercice, un moyen de perfectionner son talent ». La Guzla, c’est la pierre qu’apporte en convaincu, un jeune littérateur, à l’édifice que d’autres enthousiastes sont en train d’élever. Mais estce sa faute si son tempérament le portait à s’abstraire de ses œuvres, à ne s’y mettre en aucune façon? Si au lieu d’entasser les horreurs pour en frémir lui-même le premier, il « ressemble à un artiste qui s’amuse à essayer aussi une fois ce genrel » S’il a tout à fait en cette circonstance dissimulé son être intime? Toutefois, et ce que Goethe a justement remarqué,

1 Goethes Nachgelassene Werke (1833), t. VI, p. 137 et suiv. Eckermann, op. cit., p. 39'1.