"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CONCLUSION.

ticulièrement, c’est le trait général, permanent, ce à quoi tout homme pourrait se reconnaître ; il élimine de parti pris l’accessoire, et en cela il suit fidèlement la tradition littéraire de son pays. Romantique farouche, il procède à la façon des grands classiques français, en modifiant à son usage les éléments que lui fournissent des modèles rapprochés. Ce qui est fugitif, passager, ce qui ne tient qu’à un peuple, à un pays, à une époque, tout cela ne vaut pas la peine d’ètre noté ; inutile de s’en souvenir; quand il en sera temps on n’aura qu’à recourir à quelques livres bien documentés qui donneront, et au delà, de quoi répandre sur l’œuvre autant de « couleur » qu’il sera nécessaire. Et c’est pourquoi la « couleur » dans la Guzla est toute à la surface; il suffit de gratter un peu pour s’apercevoir qu’il n’y a rien là qui distingue véritablement les primitifs illyriens des primitifs albanais ou slovaques, comme l’a judicieusement conjecturé M. Filon 1 . En réalité, ce que Mérimée a peint c’est l’homme tel qu’il se l'est représenté avant que la société l’ait policé ; peinture, un peu à la manière du xvni e siècle. Cette fameuse « couleur locale » de la Guzla n’est pas de très bonne qualité et Goethe le remarquait de suite, car il connaissait, lui, les véritables poésies serbes. Ce que nous trouvons dans le recueil de Mérimée, c’est la peinture de la société à un certain degré de civilisation; non telle qu’elle fut, mais telle qu’il nous semble qu’elle. dut être. OEuvre de poète plus que d’historien, la Guzla est un jeu d’esprit, une reconstitution poétique d’un monde fantaisiste, reconstitution pleine de vie

1 Augustin Filon, Mérimée (Collection des Grands écrivains français), Paris, 1898, p. 29.