"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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chapitre x.

garda de dire quelle était la renommée scientifique de son correspondant anglais et laissa à son naïf lecteur le plaisir de l’imaginer. C’était, de sa part, une petite mystification de plus, et elle réussit parfaitement. En effet, tous ses biographes, après nous avoir parlé du « docteur Gerhard », nous assurent que M. Bowring, érudit compétent, se laissa prendre lui aussi àla supercherie. Le plus savant des critiques contemporains anglais, M. George Saintsbury, dans le bel article sur Mérimée qu’il a écrit pour la neuvième édition de XEncyclopædia Britannica"', nous apprend que l’auteur de la Guzla a mystifié, entre autres, « sir John Bowring, a competent Slav scholar 2 ». Sir John Bowring (en 1827 simplement : Mr. John Bowring) ri était pas un « competent Slav scholar » ; il ne fut jamais reconnu pour tel par ceux qui l’étaient. En réalité, tandis que le « juge compétent » allemand était un ancien marchand de toiles, le « juge compétent » anglais était un ancien marchand de draps. John Bowring (1792-1872) descendait d’une vieille famille bourgeoise du Devonshire 3 . Fils et petit-fils du commerçant, sa seule ambition était de continuer à

1 Encyclopædid Britannica, t. XVI, p. 37. On doit à M. Saintsbury également une traduction anglaise de la Chronique de Charles IX (Londres, 1890), précédée d'une pénétrante étude sur Mérimée. a A vrai dire, l’Angleterre n’a eu, presque jusqu’à nos jours, aucun érudit slavicisant. Comparée à l’Allemagne, à la France et même aux pays Scandinaves, elle est restée fort en arrière.. Il n’y a que dix-neuf ans qu’a été nommé le premier lecturer in Slavonie dans une Université (celle d’Oxford), mais l’enseignement est limité aux choses les plus élémentaires. M. Moses Gaster, le seul slavicisant compétent anglais, ne professe nulle part ; il est rabbin de la commune de VVhitechapel (faubourg de Londres). 3 The Times, 25 novembre 18-72. Autobiography of Sir John Bowring, Londres, 1877. Dictionary of National Biography, tome VI, p. 76 et suiv.