Lazare Carnot d'après un témoin de sa vie et des documents nouveaux

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je crois, de soutenir sans crime. Je l’ai souvent exposé au Directoire; mais c'était pour lui un langage inintelligible; autant vaudrait proposer au Grand Turc d'ouvrir son sérail à toute la jeunesse de Constantinople. Nos Directeurs républicains veulent que la France soit un pays d’inquisition politique, un vaste tombeau des vivants, semblable aux prisons de Gênes, sur la porte desquelles était écrit par dérision, le mot /ibertas. »

Carnot aimait aussi à emprunter au langage de la science et aux comparaisons scientifiques, les explications qu'on lui demandait sur les événements de sa vie.

« Dans ma jeunesse, raconte Arago, encouragé par la bienveillance, par l'amitié dont Carnot voulait bien m'honorer, je prenais quelquefois la liberté de reporter ses souvenirs sur ces grandes époques de nos annales révolutionnaires où les partis, dans leurs convulsions frénétiques, furent anéantis, vaincus, ou seulement apaisés par des mesures brusques, violentes, par de véritables coups d’État. Je lui demandais comment, seul entre tous, il avait constamment espéré d'arriver au but sans secousses, et sans porter atteinte aux lois. Sa réponse, toujours la même, s'était profondément gravée dans ma mémoire; mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque, sortant un jour du cercle d’études qu’un jeune astronome doit toujours s'imposer, je retrouvai textuellement la réponse constante dont il vient d’être question dans l'énoncé d'un théorème de mécanique; lorsque je vis que Carnot m'avait toujours entretenu de l'organisation politique de la société, précisément comme dans son essai sur les machines, il parle d'un mécanisme où des changements brusques entraînent nécessairement de grandes déperditions de force, et tôt ou tard amènent la dislocation du système. »