Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

42 PACTE DE FAMINE

Il en avoit fait cinq autres sur celle-là, il avoit encore réuni divers extraits de la correspondance des intéressés 1, et le désir de faire échouer des manœuvres criminelles le fit penser à communiquer toutes ces découvertes à M. Bailleul, alors président au parlement de Rouen. Il ne le connoissoit pas; mais M. Bailleul étoit réputé patriote et populaire : c’en fut assez pour qu’il s’adressät à lui ! Malheureusement, le paquet fut soupçonné, on l'intercepta, il fut ouvert, et la perte de Le Prévôt fut irrévocablement jurée 2.

Le moyen qu'il l’'échappât ! Il dénoncçoit un traité honteux, le plus vil des agiotages qui promenoit au gré des traitans une diseite méthodique sur les provinces ; une manœuvre qui avoit, pour vingt despotes subalternes, le grand avantage de leur produire, aux dépens du peuple, d'immenses bénéfices, et de le tenir efficacement sous le joug de la dépendance, tantôt par la crainte d'une famine, et tantôt par l'apparence des approvisionnements subsidiaires au nom du gouvernement.

Un nommé Rinville, qui avoit concouru à la dénonciation, quatre ou cinq citoyens qu'on soupçonnoit, furent compris dans la proscription de G. Le Prévôt et emprisonnés comme lui ; mais la foiblesse de leur caractère et la terreur des prisons les fit s'engager à un silence perpétuel, et ils furent élargis 3. Pour G. Le Prévôt, qui fut toujours inflexible, que les geôliers ne séduisirent pas, et qui, sous les fers qui l’attachoient aux murs des prisons, menaçoit encore, du fond de son cachot, le lieutenant de police qui l'y retenoit *; celui-là ne fut point relâché 5.

Onze mois à la Bastille, quinze ans à Vincennes, huit mois à Charenton, deux ans et demi à Bicêtre, autant au petit Bercy, dans une de ces prisons bourgeoïses nommées par dérision maison de santé, il fut détenu pendant vingt-deux ans, etne devint libre qu'à l’époque de la Révolution. Toujours enfermé dans une chambre incommode, quand il n’étoit pas au cachot, jouissant rarement de

1. « Enquis de qui il tient les différens extraits intitulés : Extraits de lettres de correspondance des intéressés au traité de famine, ete... a dit qu'il a tiré cet extrait d'un livre-journal de correspondance.. du bureau du sieur Rinville, employé dans les domaines du Roi. » (Interrogatoire du 19 novembre, 10 heures du matin.) .

2, Une note du secrétaire de M. de Sartines, en date du 26-décembre 1768, est ainsi concue : « Il résulte de l'interrogatoire du sieur Le Prévost, qu'il avoit adressé à M. Bailleul une lettre en

‘ forme de mémoire, qui ne lui est point parvenue, ayant été interceptée ; qu'il ne s’est servi du canal de M. le Prince de Conti et de M. le duc de Nivernois, pour faire parvenir ses écrits à Madame Adélaïde et au Roi, que sur la seule réputation qu'ont ces puissances d'aimer le bien public. Il ne reconnoit pas ses torts, et persiste à dire qu'il a écrit ce qu'il croit vrai, c'est-à-dire qu'il y a des traités et des monopoles pour soutenir la cherté des grains en France. »

3. « Je sais que mes quatre compagnons sont tous en liberté. Le sieur Rinville n’a point fait de mal en me donnant connoissance de tout ce qui fait le sujet de ma cause... Vous l'avez bien traité... Mais suis-je plus coupable que lui ?... Auroïs-je pu rien voir s’il ne m'eût rien montré ? » (Lettre du sieur Le Prévost à M. de Sartines, du 14 mars 1771.)

4, « De peur que votre conscience vous presse de me rendre justice, vous évitez de me voir et de m'entendre.. Je serois innocent si je ne vous avois pas pour ennemi... Vous me retenez dans les cachots, par la seule crainte que je ne parle. » (Lettre du sieur Le Prévost à M. de Sartines, du 6 avril 1772.)

3. « Cet homme est incorrigible et je ne veux plus avoir de bonté pour lui... S'ilne vouloit parler que de ses affaires, je lui ferois passer ses papiers. Mais peut-on compter sur ses promesses ? » (Lettre de M. de Sartines à M. de Rougemont, à Vincennes, du 2 juillet 1770.)