Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

A4 PACTE DE FAMINE

Ces privations rendoient mgénieux celui qu’on en accabloit ; il réduisoit en poudre des morceaux d’ardoise, il brüloït à la chandelle les copeaux qu'il pouvoit ramasser, il délayoit avec du vin ou de l’eau ce charbon pulvérisé, et il s’en servoit pour tracer ses malheurs, avec un éclat de bois, sur des feuilles épaisses de papier d’enveloppe, dans lequel lui parvenoient des fournitures 1, D’autres fois, c'étoit du jus de réglisse qu’il employoit au lieu d’encre ; il l’obtenoit comme médicament et l’étendoit ensuite avec un peu d’eau 2.

Il avoit un jour conçu l'espoir de faire connoître son état hors de la prison, et les causes qui l'y avoientfait enfermer. Son projet étoit d'en écrire la description abrégée, de l’exposer la nuit aux barreaux de la fenêtre, quand il feroit du vent, et d’invoquer le hasard contre ses geôliers et leur instinct de vigilance. Il avoit donc écrit, sur un lambeau de serge de soie, un avis aux François ; il y dénonçoit le pacte de famine ; il invitoit ceux qui le trouveroient, à le porter au roi, et promettoit que les preuves ne manqueroient pas. Il avoit soigneusement caché cet avis 5, en attendant que l’air s’agitât et vint se charger de son secret ; mais la défiance des méchans, qui ne s'endort jamais, devança les mouvements de l'atmosphère : son avis fut trouvé par le geôlier et déposé dans les cartons de la police.

Alors le désespoir s’empara du prisonnier; il tenta d'émouvoir, par ses cris, la pitié des passans ; il voulut qu’on pût entendre ses plaintes au dehors, et qu'on apprit l'injustice de sa détention. Ce moyen, suggéré par le désespoir, ne servit à autre chose qu'à fournir au geôlier le prétexte d’un nouveau rafinement de tortures ; il fit boucher, avec du fumier, la seule ouverture de sa chambre qui lui donnoit un peu d'air et de lumière 4. Cependant, tandis qu'il habitoit les cachots de la Bastille, du donjon de Vincennes, de Bicêtre, etc., il étoit perdu pour sa famille ; il n’en recevoit aucune nouvelle, il ne pouvoit lui en donner aucune; et ce ne fut qu'après beaucoup de soins et de recherches, que sa mère et sa sœur parvinrent à découvrir qu’il vivoit encore, qu'il étoit prisonnier d'État, et qu'il devoit son emprisonnement à quelques imprudences contre le gouvernement.

En vérité, c’est une chose douloureuse, de voir toute une famille honnête aux pieds d’un lieutenant de police, le supplier, dans un placet, de faire grâce à un homme qu'il eût dù récompenser ; supposer des torts à un parent pour obtenir

rendre libre ? » (Note dusecrétaire de la police, du 28 août 1779.) OUT, répondoit le Lieutenant général, au pied de la note de son commis.

4. « J'ai l'honneur de vous envoyer cinq lettres à votre adresse, que M. Leprévôt a voulu remettre ce matin à son porte-clef et qu'il a écrites avec du noir de fumée de chandelle, sur du papier qui a servi d'enveloppe à ses effets, ete. » (Lettre de M. de Rougemont au lieutenant de police, du 20 juin 1774.)

9. On a trouvé dans les débris de la Bastille des lambeaux de toile, sur lesquels les prisonniers, avoient écrit leur situation avec leur propre sang.

3. « Jai l'honneur de vous envoyer un écrit du sieur Leprévôt, sur de la serge grise de soie qui a été trouvé dans une cache qu'il avoit pratiquée sous terre dans sa chambre. » (Lettre de M. de Rougemont, au lieutenant de police. du 20 octobre 1772.)

£. « Afin que ses cris ne puissent pas être entendus hors du donjon, j'ai ordonné qu'on remplit de fumier sa trémie. » (Lettre de M. de Rougemont, du 21 sept. 1772.) La note de la police sur cette lettre est ainsi conçue: « Approuver le parti qu'il a pris, en observant de lui faire des remèdes, s'il en a besoin. »