Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma, page 104

92 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

À ses yeux dessillés le jour commence à luire :

Ce spectacle terrible est fait pour vous instruire. Maintenant, vérité, fais entendre ta voix

Contre un assassinat commis au nom des lois ? Qu'enfin la liberté succède au despotisme,

La douce tolérance au sanglant fanatisme :

Une loi juste et sage à ce code insensé

Qu’avec la cruauté l'ignorance a tracé :

Des juges citoyens aux magistrats coupables

Qui faisaient un métier de juger leurs semblables (D).

Le public applaudissait surtout avec fureur cette exclamation de Calas à son confesseur :

Eh quoi! vous me plaignez, et vous êtes un prêtre!

Jean-sans- Terre n'eut qu’un médiocre suecès : mais Ducis, qui s’efforçait de naturaliser Shakespeare sur notre scène, fut plus heureux, l’année suivante, avec Ofhello, où Talma fit tellement frémir son public, qu’une voix du parterre s’écria : « C’est un Maure qui a fait cela, ce n’est pas un Français! » On sait, cependant, à quel point les adaptations de Ducis avaient adouci, édulcoré les hardiesses et les rudesses de l'original (2). Depuis, on en a certes vu bien d’autres, avec le drame romantique d’abord, et le naturalisme ensuite!

Quant à Fabre d’'Eglantine, entraîné dans le mouvement politique, dont il ne devait pas tarder à devenir une des victimes (3), ses productions drama-

(1) Le désir exprimé par Chénier recut une prompte satisfaction, car, dès le 16 septembre suivant, une loi contenait l'insüitution, l’organisation et le mode d'action du jury, substitué aux magistrats, en matière criminelle. Elle commença à fonctionner en janvier 1792.

(2) On continua à le qualifier d'extravagant, de fou anglomane, de faiseur de tours de force.

(Journal littéraire, par Clément, messidor an EVA)

(3) Fabre d'Eglantine mourut sur l’échafaud, avec Danton et Camille Desmoulins, le 5 avril 1794.