Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

322 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

Ce même tableau est présenté sous un aspect moins sévère et plus plaisant dans un document privé, une lettre adressée à sa mère par un jeune officier, Maurice Dupin (1) :

« .… À l'Opéra où va, dit-on, la bonne compagnie, « vous y voyez des jeunes femmes charmantes, d’une « élégance merveilleuse, mais si elles ouvrent la « bouche, tout est perdu, vous entendez :

- « Sacristi que c’est bien dansé! Il fait un chaud du « diable ici! » — Vous sortez, des voitures brillantes « et bruyantes reçoivent tout ce beau monde, et les «braves gens qui s’en retournent à pied se vengent « par leurs sarcasmes des éclaboussures qu’ils recçoi« vent. — On crie : « Place à M. le fournisseur des pri« sons! Place à M. le Brise-Scellés ! » — On peutdire, « comme autrefois, l’honnête homme à pied, le faquin “en voiture; — ce sont d’autres faquins, voilätout... »

Partout règne un agiotage à outrance ; même dans les entr’actes de tous les théâtres on tripote, on spécule sur toutesles denrées, sans exception, comme au marché du Perron, la bourse de cette époque (2).

(1) M®e Dupin était propriétaire du château de Chenonceaux, où existait un théâtre de société.

(2) Sur les promenades, écoutez les nymphes de l'agio attaquant les promeneurs : « Monsieur, une belle paire de baptiste! murmure une voix fraiche. — C'est peut-être du sel ou du sucre que cherche Monsieur? Donnez-moi la préférence; je livre dans le jour. » — « Et moi aussi, reprend une jolie femme, de l’autre côté; vous faut-il de la chandelle, du tabac, du savon? Sont-ce des chaussures que vous demandez? J'en ai de toutes formes et. de toutes orandeurs ; je fais le commerce, tout le monde le sait, voici mon adresse. »

(Semaines critiques, vol. I.) Tous vendent de tout : bijoux, vin, mouchoirs, sel, coton, pain, poudre, drap, livres, fer, beurre, fil, savon, dentelles, suif, tableaux, huile, café, poivre, charbon, diamants.

(Tableau des mœurs publiques, avril 1797.)