Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma
US ANR ne ER! PATTES ITS pee
392 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION
de couplets satiriques et mordants, comme Clairville excellait à les faire. En voici la rapide analyse : Le premier acte se passe dans le Paradis terrestre, avec Adam, Eve et le serpent comme personnages. D'un côté de la scène ‘est un buisson de roses, où s'abrite le serpent; de l'autre, un gros pommier, avec cette inscription :
Il est défendu de toucher à ces pommes.
Le génie du mal, représenté par le serpent, déclare la guerre au principe de la propriété, personnifié dans Adam, le premier propriétaire.
Avec une licence tout aristophanesque, les auteurs avaient donné au serpent une face humaine, ornée de lunettes, et à laquelle l'acteur Delannoy, encore il y a peu de temps en exercice sur les scènes de genre parisiennes, avait su imprimer une ressemblance frappante, irrécusable, avec la physionomie si connue, si popularisée du philosophe Proudhon.
Aussi, bien qu’un couplet précédant la pièce repoussât toute idée d'attaque personnelle, chaque Spectateur reconnut, dans ce reptile à face humaine, portant lunettes, le célébre écrivain socialiste (1).
(1) Les hommes de 50 ans se rappellent que la pièce prenait la question de la propriété au Paradis terrestre et la suivait à travers les âges. On y voyait, au premier acte, Adam et Eve, le serpent, et l'allégorie se conünuait, avec beaucoup d'esprit et de gaieté, jusqu’à travers les mœurs modernes et la civilisation contemporaine...
Je ne tardai pas à aller voir La Propriété, c'est le vol. qui, après avoir subi quelques orages les premiers soirs, faiSait courir tout Paris. Je vois encore l'acteur qui avait revêtu le masque et les lunettes de Proudhon. Il soulevait, avec ses gestes fantaisistes, avec ses ricanementis drôlatiques et infernaux, de longs éclats de rire dans toute la salle. Son nom émergea de l'ombre en quelques heures. Personne ne le connaissait la veille, Delannoy fut célèbre le lendemain. C'est le privilège du succès au théâtre.
(Comédiens et Comédiennes. Notice par F. Sarcey, 1884.)