Les pamphlets de Marat

DÉNONCIATION CONTRE NECKER 85

A cette époque, déjà le désordre des finances, qu'il avait si bien préparé, était extrême. Les frais énormes du gouvernement, les dépenses inouiïes de la Cour, les affreuses déprédations des administrateurs, et les friponneries incroyables des employés, avaient mis le trésor publie à sec. Il fallait de l’or; et le ministre, toujours fertile en expédients, en trouva un qui promellait une moisson abondante, une moisson sûre, une moisson journalière, — moisson altrayante, à laquelle il n’a pu encore se résoudre de renoncer. Il avait déjà sous lui une compagnie d’accapareurs” pour l’approvisionnement de la capitale; il en eut d’autres qui accaparèrent les grains du royaume. Pour les revendre à un prix arbitraire, pour colorer la hausse du

1. La Compagnie Leleu, qui tenait tous les moulins de Corbeil. Le 19 février, les boulangers de Paris présentèrent un mémoire au lieutenant de police, oùils se plaignaientde ce que lacompagniedes sieurs Leleu, pour mettre, sous différents prétextes, un prix plus haut à la denrée, avait subitement restreint ses ventes et livraisons ; qu'ayant écrémé les halles circonvoisines, les boulangers qui s’y étaient transportés pour faire leurs achats, s'étaient vus réduits à revenir dans la capitale, à la merci de ladite compagnie, la supplier de les approvisionner à tous prix; et par contre-coup avaient élé forcés d'enchérir le pain, en raison de la hausse des farines : ce qui leur avait attiré l'amende de la police.

Gravement inculpés par ce mémoire, les sieurs Leleu répandirent dans le public deux imprimés, sous les titres « d’observations et de compte-rendu sur l'établissement des moulins de Corbeil », où ils invoquent le témoignage de M. Necker sur leur désintéressement et leur dévouement patriotique. Ces accapareurs ministériels produisent une lettre, où l’administrateur des finances leur dit : « Soyez persuadés qu'en toute occasion vous me trouverez prêt à vous donner des preuves d'estime et d'intérêt. » Ils produisent aussi un arrêt du Conseil, sans date, sans signature, sans affiche, et de façon, sans doute, de M. Necker, par lequel le premier mémoire des boulangers est supprimé comme calomnieux et diffematoire. Ainsi, nul doute que les accapareurs ministériels n’aient affamé la capitale depuis le retour de M. Necker, en 1188,

‘ jusqu'au moment de la révolution, et qu'après la révolution ils ne l’aient encore affamée; car ils étaient l'âme du comité des subsistances de l'hôtel-de-ville, (Note de Marat)