Mémoire sur la Bastille

N. B. Les lecteurs sont priés de ne passer aux notes qu’après avoir bien lu et un peu médité le texte, s’il est possible.

1. Page 5. Sur les avenues de ces gouffres. — En général en France toutes les places fortes peuvent à volonté devenir autant de bastilles : il n’y a pas un de ces remparts, élevés en apparence contre les ennemis de l’État, dont un caprice ministériel ne puisse à chaque instant faire le tombeau de ses enfans; mais il n’y a guère qu’une vingtaine de chäteaux qui aient cette destination spéciale et constante, tels que la Bastille et Vincennes, aux portes de Paris; PierreEncise, à Lyon; les Iles Sainte-Marguerite en Provence; le Mont Saint-Michel, en Normandie; le Château du Taureau, en Bretagne; celui de Saumur, en Anjou; celui de Ham, en Picardie, etc., etc., et tout cela est rempli de prisonniers d’État! et dans tous on suit le régime de la Bastille! et dans tous il y a des gouverneurs cantiniers, des états-majors porte-clefs, des garnisons, des ingénieurs, etc.

La considération de cette énorme dépense a donné à quelques ministres, et entre autres à M. Necker, dit-on, la velléité d’une réforme; si elle s’opéroit jamais, il seroit bien honteux qu’elle n’eût point d’autre motif. « Supprimer la Bastille par économie! » disoit il y a quelques jours, avec indignation, à ce sujet, un des plus jeunes et des plus éloquens orateurs de l'Angleterre.