Michelet et l'histoire de la Révolution française
14 MICHELET. — HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
française pour l'année 1792, il est en réalité une sorte de philosophie de la Révolution, un exposé de ses causes et de son esprit, une apologie d'autant plus touchante, que Rabaut, peu de mois après l'avoir publiée, était proscrit avec les Girondins et périssait avec eux.
Nous devons à une femme, spectatrice, elle aussi, de cette Révolution dont son père avait été l’un des premiers acteurs, à Mme de Staël, un ouvrage d’un caractère philosophique bien supérieur à celui de Rabaut : les Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, achevées en 1816, et qui ne parurent qu'après sa mort. Bien que cet ouvrage soit mal conçu et mal composé, car la Révolution n'y tient qu'une place secondaire, tandis que la première place appartient à l'apologie de la politique de M. Necker, à une diatribe contre Napoléon; et à un plaidoyer en faveur du gouvernement représentatif anglais; bien que l’on puisse contester la valeur de la philosophie générale de Mme de Staël qui tente de ramener les principes de la politique aux lois de la morale et de la religion, les chapitres relatifs à la Révolution gardent encore aujourd'hui toute leur valeur, tant ceux dans lesquels Mme de Staël justifie la Révolution comme un effort de la nation pour défendre ses droits contre les empiétements du despotisme, que ceux où elle analyse avec une rare clairvoyance les fautes commises par la Constituante et les gouvernements révolutionnaires qui lui ont succédé, fautes qui ont amené la chute de la République. Elle a indiqué la première les funestes effets de la politique religieuse de la Constituante.
Mme de Staël avait eu d’ailleurs, pour la guider et l’inspirer dans la composition de son livre, l'ouvrage en trois volumes sur la Révolution, publié en 1796 par son père M. Necker, où, lui aussi, avait présenté, sous la forme d’une philosophie de la Révolution, l'apologie de ses idées et de sa conduite.
Au moment même où Charles de Lacretelle refondait dans un ouvrage d'ensemble ses Précis de la Révolution, à cette histoire écrite dans un esprit contre-révolutionnaire, venaient s’opposer deux œuvres où, pour la première fois, l’histoire de la Révolution était racontée dans un esprit vraiment historique, c'est-à-dire sans parti-pris d’apologie ou de dénigrement, avec l’intention avouée de faire comprendre l‘enchaînement de causes et d'effets qui avait transformé les institutions de la France, bouleversé l’Europe entière -et produit une série d'événements prodigieux par leur caractère comme par leurs résultats : ce sont les histoires de la Révolution de Mignet et de Thiers, parues, la première en 1824 en un volume de 730 pages qui comprenait toute la période de 1785 à 1844, la seconde, de 1823 à 1827, en dix volumes, comprenant seulement la période de 1789 à 1799.
Ces deux ouvrages, malgré la différence de leurs dimensions et de leur caractère, le premier d’allure plus philosophique, le second plus purement narratif, sont cependant inspirés par le même esprit. Ils étaient dûs à deux jeunes avocats marseillais, venus à Paris pour se faire une situation dans le journalisme et les lettres, imbus des idées libérales de l’époque, persuadés que la Révolution française avait été inévitable et que la France ne pourrait jouir de la liberté et de la paix intérieure que par le triomphe des principes au nom desquelles elle avait été faite. Leur œuvre fut donc une justification de la Révolution, mais ce n'en fut pas l’apologie, car bien loin de prétendre approuver ou même