Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA GIRONDE. 1497

la société comme un théorème; ses connaissances en philosophie, en géométrie, en économie politique ne lui servirent qu'à pousser jusqu’au délire la chimère de l'humanité indéfiniment perfectible (tout ceci au nom de la mathématique sociale, de la science qui applique le calcul à la morale, à la politique !) à exalter le sortilège des formules, la bonté native de l’homme, en partant de cette théorie chère à Jean-Jacques et aux alchimistes de son espèce d’après laquelle tout le mal git dans les lois et les institutions. Où ne peut conduire la tyrannie d’une fausse prémisse ? Lui, le mouton enragé, le volcan couvert de neige, comme on l'appelait, lui qui, avec un esprit subtil, amer et dénigrant, montre un enthousiasme de réflexion entretenu sans cesse par le foyer d’une âme ardente que voilait l'extérieur le plus froid, lui qui dans sa jeunesse avait aimé jusqu'à vouloir s’ôter la vie ‘, lui qui fut l’ami passionné de Voltaire, Turgot, d’'Alembert, qui ne songeait jamais à sa femme et à sa fille sans

1. Rien de plus curieux que la manière dont il repoussait alors les palliatifs que Turgot, son confident, lui administrait : « Faites des vers, c’est un genre de composition auquel vous êtes peu habitué, il captivera votre esprit. — Je n’aime pas les mauvais vers,

je ne pourrais souffrir les miens. — Attaquez quelque rude problème de géométrie. — Quand un goût dépravé vous a jeté sur

des aliments à saveur forte, tous les autres aliments vous déplaisent, les passions sont une dépravation de l'intelligence ; en dehors du sentiment qui m'absorbe, rien au monde ne saurait m'intéresser. »