Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

148 CONVENTION

s'était exercée avec plus de violence dans les départemens, où elle avait rencontré plus d'obstacles qu’à Paris, dont les habitans avaient été muets devant elle. Mais à des hommes dévorés de la soif du sang, des massacres qui ne se passaient pas sous leurs yeux ne parurent plus qu’une insuffisante satisfaction. Ils voulurent en être assouvis chaque jour. Nous n’avons point encore assez considéré l’intérieur des prisons de Paris. Le régime qui s’y observait jusqu’au moment où Danton fut arrêté ne répondait point à toute la cruauté des auteurs de la loi des suspects. Les précautions barbares étaient inutiles envers des malheureux qui, résignés à leur sort, n’avaient plus d'autre soin que de s’en distraire. Ils se formaient les uns aux autres une société nombreuse et diversifiée; ils cherchaient à réunir à la grâce légère, à la politesse de leurs jours heureux, les égards, la confiance que tous se demandaient à un titre commun. Dans la plupart de ces prisons, les femmes n'avaient point été séparées des hommes; leur aspect donnait plus de sérénité à.ces lieux sombres. La plupart d’entre elles étaient des victimes volontaires, qui avaient subi la captivité pour avoir donné un asile à des proscrits, ou pour avoir sollicité leur délivrance avee opiniâtreté, ou qui enfin avaient demandé et obtenu de les suivre. Elles ne cessaient pas de voir avec le même courage un péril qu’elles avaient cherché, Les prisonniers s’étudièrent à bannir de leur cœur la crainte et l'espérance. La légéreté française se montra encore dans ces momens funèbres, lorsque le caractère français semblaït expirer partout ailleurs. On cherchait à se consoler, et même à se plaire. Les femmes dominaient dans les prisons; quelques-unes rappelèrent des hommes désespérés aux consolations religieuses. D’autres inspirèrent et ressentirent l'amour; d’autres enfin, entourées de presque toute leur famille, ne vivaient que pour elle, et trouvaient encore des plaisirs dans leur journée, parce qu’il leur restait des devoirs à remplir.

On voyait réunis des hommes de toutes classes, qui n’avaient eu auparavant que peu de communication les uns avec les autres : c’étaient plusieurs anciens magistrats, observant, sans pouvoir les comprendre, tant de jugemens atroces, et préparant de vaines défenses où d’inutiles protestations contre l’iniquité qui allait les faire périr; c'étaient des hommes de.cour, conservant encore la grâce et la dignité de leurs manières, quoiqu’elles fussent aussi des titres de proscription; c’étaient la plupart des hommes opulens de l’ancien régime, qui n’avaient pu se sauver par de continuels sacrifices ; cé laient des savans et des hommes de lettres; c’étaient des artis tes qui avaient osé s’indigner de la guerre faite aux beaux-arts