Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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LIVRE QUATRIÈME.

LE étaient la liberté, l’ordre et le calme dont on jouissait en France après le 18 fructidor. Le directoire crut instant et légitime de conquérir un peuple voisin pour le faire participer à l’état que je viens de décrire. Ce peuple, c'étaient les Suisses , les seuls républicains de Punivers qui aient compté cinq cents ans d’une liberté toujours glorieuse , rarement troublée par des discordes civiles , et qui ne fut jamais égarée par l’ambition.

Les Suisses avaient vu la révolution de France sans joie et sans alarme. Le 10 août leur avait donné un sujet de deuil et de ressentiment ; mais une nation ne s’arrache point facilement aux douceurs d'une paix qu'elle s’est habituée à juger éternelle. Dans le seul canton de Berne, on parla quelque temps de venger de malheureux compatriotes qui avaient glorieusement expiré sur les marches du trône de Louis XVI. La convention nationale n’épargna ni promesses ni séductions pour calmer ce mouvement. La ligue des Suisses n’eut plus avec la république française les liens qui l’attachaient à la monarchie; mais elle garda une serupuleuse neutralité, que les revers ni les conquêtes des Français ne purént ébranler. Elle sut défendre contre la tyrannie de Robespierre un beau droit, celui d’accorder un asile aux proscrits. Cette terre hospitalière conserva à la France un grand nombre de ses hommes les plus distingués. Elle les accueillait sans leur demander compte de leurs opinions. Les amis de la liberté ne trouvaient que là des consolations au malheur d’avoir vu la liberté souillée dans leur patrie par les plus monstrueux excès. Après chacune des journées les plus terribles de la révolution, des troupes de fugitifs descendaient du Jura; un champ à traverser, un ruisseau à franchir, mettait une barrière entre eux et l’échafaud. Lorsque dans ces heureuses vallées ils gémissaient de n'avoir pu conduire avec eux le plus cher de leurs amis , souvent un paysan intrépide et fidèle s’offrait à eux, et leur disait : J’irai le chercher en France , et je vous l’amenerai par des routes qui me sont connues. Le parti qui régnait après le 18 fructidor avait vu plusieurs des siens sauvés ainsi des proscriptions qui suivirent le 31 mai, et la Suisse fut cependant livrée à notre terrible révolution.