Récits des temps révolutionnaires d'après des documents inédits

154 RÉCITS DES TEMPS RÉVOLUTIONNAIRES.

d'un siècle après l'événement qui les provoqua, il ait continué de nous apparaître comme mystérieux. Mais, si le doute qu’il suppose sur la cause de la mort de Pichegru était permis aux contemporains, il ne saurait l'être aux hommes de nos jours. Les historiens de bonne foi ont fait justice d'une accusation que ne mérite pas Bonaparte et que son intérêt même, loin d'exiger qu’il s’y exposât, lui commandait de ne pas encourir.

En laissant vivre Pichegru, il se faisait honneur, la clémence d’un victorieux envers un vaineu ayant toujours été un titre de gloire pour celui qui l'exerce. D'autre part, Pichegru, déshonoré par sa trahison antérieure, avili par un complot qui tendait à l’assasinat, ne pouvait plus devenir jamais un rival redoutable pour Bonaparte, et c’est en vain qu'on cherche le profit que celui-ci pouvait retirer et retira de sa mort. En faisant grâce à Moreau, qui était pour lui un rival bien autrement dangereux et qu'il lui eût été aussi facile de faire assassiner, il prouva, quelques semaines plus tard, qu'il eût fait grâce à Pichegru. Il était, à cette heure, placé assez haut pour dédaigner l’adversaire désormais flétri, dont la mort ne pouvait en ajouter aux terribles exemples par lesquels, dès