Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

132 SOUVENIRS D'OCTAVE LEVAVASSEUR

Déjà notre tête de colonne avait dépassé la montagne et était descendue à Villa-Castina. Ney m'envoya porter un ordre; j’arrivai au pied de la côte par un temps effroyable; une neige et un vent terribles s’opposaient à notre passage. Toute la colonne, enlevée et coupée par un coup de vent, redescendait en désordre la montagne et chacun m'arrétait en disant : « On ne passe pas! » Je continuai néanmoins ma route, et, malgré les cris des soldats et des officiers, j'arrivai à l'extrémité de la colonne. Devant moi s'ouvrait un étroit passage, entre des rochers où s’engouffrait le vent le plus brutal que j'aie jamais eu à combattre. Comment braver cette tourmente? Pour mieux résister au froid, je prends un verre d'eau-de-vie avec mon chasseur; j’ordonne à cet homme de se mettre à la tête de mon cheval, et, m’attachant d’une main à la queue de animal, je le force, par mille coups, à se porter en avant. Tandis que je le suis, courbé sur la terre, j'aperçois sur ma gauche, dans un précipice, des chevaux, des voitures, des hommes ren-

versés par le vent et roulés dans la neige. Le même sort m'était réservé peut-être... ; encore quelques pas... Pourtant le passage est franchi et j'éprouve un calme parfait. Mais voilà qu’en descendant la montagne, la chaleur factice, que m'avait procurée l’eau-de-vie, se transforma en un froid mortel qui me pénétra dans les entrailles, au point que je pus à peine gagner la ville, et, s’il avait fallu faire une lieue de plus, j'aurais succombé.