Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

EE

4814 — PREMIÈRE RESTAURATION 251

enthousiasme que partageait Louis XVIII, comme s’il eût été Henri IV lui-même.

L'hôtel du maréchal continuait à être le rendezvous de toutes les célébrités. L'empereur Alexandre y venait presque chaque jour : seul, à pied, sans uniforme, la cravache à la main, il traversait le jardin des Tuileries, le pont Royal et gagnait la rue de Lille, où nous nous empressions de le recevoir. Le czar voulut bien s’entretenir plusieurs fois avec moi; la facilité de son élocution et son aménité étaient remarquables.

Le maréchal se rendait souvent chez le prince de Bénévent, dont le salon était une sorte de bourse politique, où se négociaient les affaires de l'État. Je me rappelle que le jour où le roi alla au Louvre, pour y tenir la séance royale où la Charte devait être jurée, le prince de Talleyrand donna à dîner. Plus de 150 personnes remplissaient ses salons et les convives étaient encore à table. Les conversations traitaient toutes du grand événement du matin. On avait remarqué que le roi, au lieu de prêter serment à la Charte, qu'il avait acceptée à Saint-Denis, l'avait, au contraire, octroyée à la France.

Le mot octroi, qui se trouvait dans le préambule de la Charte, renversait toutes les idées et changeait absolument la face de la France. « Qu'est-ce que cela? » disait-on. Et l’on discutait avec chaleur. Tout à coup, la porte s'ouvre; l’on annonce le prince de Bénévent. Talleyrand paraît en chan-