Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

CAMPAGNE DE 1807 : EYLAU, FRIEDLAND 87

et que nous gardions l'offensive (1). Le maréchal Ney, dont le corps était le seul qui fût encore intact, fut chargé de soutenir la retraite que l’on s'attendait à trouver véritablement désastreuse. Cependant, dès le petit jour, nous remarquons que les bivouacs russes se dégarnissent insensiblement; le maréchal juge que l'ennemi luimême bat en retraite : la victoire était donc à nous! Cette précieuse nouvelle fut portée à l'Empereur. Toute l’armée n’en continua pas moins son mouvement de retraite, mais il ordonna à Ney de marcher en avant en colonne d'attaque et de poursuivre l'ennemi, en sorte qu'avec 12 000 hommes seulement nous nous mîmes à la poursuite de l’armée russe, dès le point du jour. Nous traversimes cet horrible champ de carnage où 80000 hommes, tant tués que blessés, gémissant, étaient étendus sur la neige (2). Dire le nombre de chevaux, de casques, de fusils, d'armes de toute espèce, de charrettes, de canons, de débris, est impossible. Le sang rougissait la neige; ce champ de bataille est le plus effroyable que l’on ait jamais vu. Sur les 10 heures du matin, nous arrivâmes à Eylau, dont toutes les maisons

(4) De fait, Napoléon, qui s'attendait à être attaqué le lendemain, avait ordonné dans la soirée du 8, aux IVe et VIe corps, d'occuper au jour des positions défensives aux abords d’'Eylau. (Note de l'éditeur.)

(2) L'auteur se laisse aller ici à une exagération : le chiffre des pertes doit être ramené à 10 000 hommes environ pour les Français et à 30 000 pour les Russes, (Note de l'éditeur.)