Trois amies de Chateaubriand

322 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND

femme qui a su voiler ses attraits; on ne tolérait pas qu’elle se répandît, comme une bacchante toute nue, échauffée de désirs et livrée à sa concupiscenice.

Je crois que les écrivains du dix-septième siècle auraient trouvé notre sensibilité moderne un peu dégoûtante. «

La sensibilité de Chateaubriand, ils l’auraient trouvée au moins déraisonnable; elle l’est.

D'abord, elle se mêle de tout, et notamment de ce qui ne la regarde pas. C’est elle qui, s’improvisant apologiste et théologienne, a composé Le Génie du Christianisme.

Elle ne connaît pas le repos. Elle est toujours en éveil et-veut sans cesse frémir, Si les occasions lui manquent, elle languit. Et Chateaubriand tombe dans un terrible ennui. Il a besoin d’une activité perpétuelle, afin d'occuper cette sensibilité qui refuse de se tenir tranquille. Est-il ambitieux? Oui, sans doute. Mais, plus encore qu’ambitieux, il est avide des prétextes qui donneront le change à son marasme. C’est pour lamusement de sa sensibilité qu’il est allé faire le voyage d'Amérique, qu’il est allé à Jérusalem voir le tombeau du Christ et, à Grenade, Dolorès; c’est pour l’amusement de sa sensibilité qu’il a voulu être ambassadeur, ministre et qu’il aurait tant aimé d’être Napoléon; c’est pour lamusement de sa sensibilité qu'avec un désir in- : fini de repos, il s’est, jusqu'à la mort, tracassé, comme s’il y trouvait un grand plaisir : et il n'y trouvait que Phone.