Trois amies de Chateaubriand

TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND 321

neuvième siècle ne l’a pas inventée; le dix-huitième siècle non plus. Mais, ce qui est nouveau, à partir de Chateaubriand, c’est la suprématie de la sensibilité; c’est aussi la faveur dont elle jouit, et c’est enfin comme on la laisse travailler seule. Ici, de même qu'ailleurs, Chateaubriand a subi l'influence de Rousseau, lequel avait subi l’influence de son temps. Mais Rousseau était beaucoup plus raisonneur que Chateaubriand; et c'est Chateaubriand qui, le premier peut-être, a confié toute sa littérature et s’est confié lui-même à la conduite de la sensibilité.

L'on fut sensible au dix-septième siècle; comment ne l’aurait-on pas été, quand on avait, au seizième siècle, été si ardemment sensuel? Et le théâtre de Racine, les romans de Mme de Lafayette signalent une sensibilité fine, vive, souvent frémissante. Mais, au dix-septième siècle, dans la littérature, les capricieux mouvements de la sensibilité sont soumis au gouvernement de la raison. La raison veille; la raison ne permettrait pas à la sensibilité d’aller trop loin, de faire la folle, de se montrer sans retenue. Il y avait alors une certaine hiérarchie des facultés spirituelles. La raison était souveraine, comme parfaitement détachée de la matière; tandis qu’on méprisait un peu la sensibilité, qui était en bas de la hiérarchie, comme étroitement liée au corps et à ses trop charnels émois. On voulait bien

qu’elle apparût, avec une délicate réserve, qu’elle,

se laissât deviner, décente, pareille à une jeune