Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

102 CHAPITRE TROISIÈME.

épiant l’occasion favorable pour gagner Constantinople et y exciter le Divan contre la Russie. Lizakévitch faisait suivre pas à pas l'envoyé français, et travaillait de son mieux à empêcher son départ et à pénétrer ses projets. De Venise, d’Antraigues lui apporta un concours inattendu et utile. Il fit passer en effet au diplomate russe des pièces qu'il avait surprises on ne sait comment; une des instructions secrètes adressées de Paris à Sémonville ; des lettres de Félix Hénin, le chargé d'affaires républicain à Venise, qui allait lui-même peu de temps après être envoyé à Constantinople, et enfin un plan de guerre civile à l'intérieur de la Russie signé Angely. L'auteur de ce plan disait à la Convention avoir vécu dans le pays; il offrait d'y rentrer et d'y provoquer une révolte analogue à celle de Pugatchev. Les républicains de 1792, comme jadis Louis XV, comme plus tard Bonaparte, se ménageaient sans scrupule des alliés contre l’autocralie russe, parmi les courtisans mécontents ou les paysans rebelles.

D'Antraigues avait d'abord prié qu’on tüt à Pétersbourg l'origine de ces révélations, puis il se ravisa, autorisa Lizakévitch à prononcer son nom, et, avec une indiscrétion qu’explique seule son ignorance des usages du pays, il sollicita une récompense réservée aux sauveurs de l'État et aux favoris, le portrait de la souveraine! On ne lui adressa même pas un remerciement banal, et plus tard il se plaignait avec amertume de ce silence. Modeste par calcul et présomptueux par nature, il s'imaginait être une puissance occulte dans le monde diplomatique, et il était tout juste un de ces instruments dont les puissants se servent, et qu'ils dédaignent ou rejettent après s’en être servis (1).

(1) Lizakéwitch à Osterman, 3 et 14 novembre 1793. (A. M.). —